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Contribution

Ordonnance sur le droit du travail…cette parenthèse normative qui se referme

La première ordonnance prise durant la pandémie (Ordonnance n°001-2020 du 08 avril 2020) concerne le droit du travail ; les droits des travailleurs qu’il fallait tenir à l’abri des conséquences néfastes de la pandémie. Il faut rappeler qu’au-delà de l’interdiction temporaire du licenciement non motivé par une faute lourde, l’ordonnance a complété le dispositif de l’article L.65 du Code du Travail relatif au chômage technique en limitant la durée et en instituant une rémunération minimale pour le salarié concerné. Elle a aussi emprunté au licenciement économique sa procédure pour encourager le dialogue social et accompagner les parties dans la recherche de solutions alternatives au chômage technique.

Enfin, il est important de signaler que les dérogations prévues par l’ordonnance précitée devaient cesser de produire leurs effets dans les limites de temps de la loi d’habilitation n°2020-13 du 02 avril 2020.
Maintenant que la loi d’habilitation a pris fin, il convient de fermer la parenthèse du « droit du travail de crise » pour revenir à celui de notre quotidien, le droit du travail normal. Dans un texte précédent, nous avions alerté que rien ne serait plus comme avant. Exact ! La mise en œuvre de l’ordonnance a révélé des choses qui ne doivent pas échapper au surligneur. Et en attendant, que l’administration du travail fasse le bilan des « produits » sortis de sa machine normative hyper active lors de la pandémie, nous allons nous essayer à en relever quelques éléments.
1. Sur l’interdiction du licenciement
D’abord, sur l’interdiction de licenciement, certains employeurs ont été pris de court par la rétroactivité des effets de l’ordonnance, les salariés qui se sont faits licencier après le 14 mars 2020 ont saisi l’Inspection du Travail et de la Sécurité sociale pour demander leur réintégration. Ce qui, somme toute, est logique à partir du moment où, dans la lettre de notification le motif allégué n’est pas la faute lourde. Avant le 8 avril 2020, date de la prise de l’ordonnance, quels moyens disposaient les employeurs pour savoir que le licenciement non motivé par une faute lourde allait être nul et de nul effet ? Ils ne pouvaient pas être aussi devins.
Si certains ont obtempéré en rapportant tout simplement les décisions de licenciement, d’autres ont maintenus les sanctions pour, ensuite, se prendre une mise en demeure de l’Inspection du Travail et de la Sécurité sociale. Et Les plus téméraires ont été dans leur défiance habituelle en pronostiquant sur la lenteur et la portée de l’action administrative et judiciaire.
Finalement l’un des effets pervers de l’ordonnance est le recours systématique au licenciement pour faute lourde même si les faits reprochés au travailleur n’étaient pas d’une certaine gravité. Entre la réaction de l’administration du travail et l’entrée en scène du juge dans le cadre du contentieux, le temps agira en faveur de la constitution d’une provision suffisante pour financer une condamnation.
Pour cette question et pour tant d’autres, ce qui a fait défaut, c’est la volonté des autorités étatiques de doter l’Inspection du Travail et de la Sécurité sociale des moyens d’actions efficacement dissuasifs notamment d’un pouvoir d’amende directe dès lors que la violation de la loi se fait de manière flagrante. Sur ce point, l’ordonnance n’a fait que révéler un problème ancien qui continue de saper les efforts des inspections du travail et qui ne permet pas une réelle protection des travailleurs face aux abus de leurs employeurs.
L’action de l’Inspecteur du Travail et de la Sécurité sociale dans la protection du mandat du délégué du personnel s’est trouvée influencer par l’ordonnance. Celle-ci, en dérogeant à l’article L.214 du Code du Travail, oblige que l’Inspecteur du Travail et de la Sécurité sociale aille à la recherche d’une faute lourde pour motiver sa décision portant autorisation de licencier le délégué du personnel mis en cause.
Auparavant, la question de la proportionnalité entre la faute commise et la sanction infligée n’impliquait pas forcément l’exigence de rechercher une faute lourde ; ou du moins, la question n’était pas suffisamment tranchée. Entre le 14 mars et le 2 juillet 2020, on est, au moins, sûr que l’Inspecteur du Travail et de la Sécurité sociale ne peut autoriser le licenciement du délégué du personnel que s’il parvient à établir l’existence d’une faute lourde qui est un manquement d’une gravité telle qu’il empêche le maintien de la relation de travail.
Qu’en est-il de la faute commise durant la pandémie et sanctionnée par le licenciement après le 2 juillet c’est-à-dire à la fin de l’habilitation ?
En l’état actuel de la règlementation, rien n’indique que l’employeur ne puisse licencier un travailleur pour une faute simple dès lors que l’interdiction induite par l’ordonnance n’est plus en vigueur. Aucune disposition ne fixe un intervalle de temps entre la commission d’une faute et la sanction. En l’espèce, il n’y a que le juge qui peut instituer un délai dit raisonnable ; ce qui sera donc une appréciation faite au cas par cas.
2. Relativement au chômage technique…
Concernant le chômage technique, la parenthèse qui se ferme emporte avec elle une solution qui ferait mieux de rester pour constituer une réponse aux innombrables questions qui se posent sur les modalités d’application de l’article L.65 du Code du Travail. Aucune convention collective encore moins un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ne le complète notamment en ce qui concerne sa durée ou la rémunération qui l’accompagne. Déjà laconique sur la question, l’article sus évoqué n’encadre pas la durée du chômage technique, ni ne pose le principe de sa rémunération partielle comme une obligation. Et dans ce trou béant baignent les abus de certains employeurs.
Ainsi, il faut, au plus vite régler cette question qui n’est pas moins essentielle que celle de l’âge de la retraite qui a valu une petite réforme en juin 2020. Il ne sera pas trop d’être méticuleux dans la rédaction pour diverses raisons dont notamment :
– l’impératif de distinguer carrément le chômage technique du télétravail ; ce dernier, encore appelé travail à distance, est un aménagement de l’espace de travail. Ce n’est pas parce que le salarié reste à la maison qu’il ne travaille pas. Non seulement, il est occupé à faire les mêmes tâches qu’il aurait fait s’il était au bureau, mais il voit son intimité et son espace familial encombrés au point de déranger ce qui, en temps normal, constituait sa vie privée. Alors celui qui est en télétravail est en situation de travail ;
– la nécessité de ne pas confondre la réduction des heures de travail au chômage technique partiel. On ne sait pas ce que c’est le chômage technique partiel au regard de l’article L.65 du Code du Travail. En revanche, on sait que la réduction des heures de travail est une mesure alternative au licenciement pour motif économique dans le droit du travail normal et qui a été empruntée au droit du travail de crise. En faire une mesure alternative est assez suffisant pour le distinguer du chômage technique.
Cette confusion, on la doit à l’article 4 de l’ordonnance qui oblige le travailleur, pendant la durée du chômage technique, de se mettre à la disposition de l’employeur pour éventuellement exécuter des tâches ponctuelles relevant de son domaine de compétence. Cela a été une opportunité d’occuper partiellement les travailleurs à son poste de travail ou à la maison (télétravail).
In fine, l’ordonnance a le mérite d’attirer l’attention du public sur l’importance de leurs droits en tant que travailleur et à quel point cette question est liée avec leurs moyens de subsistances. Si elle augure une réforme en profondeur du Code du Travail et de l’Inspection du Travail et de la Sécurité sociale, c’est que la bonne leçon a été tirée. Un droit du travail militant du développement économique et social est un droit du travail qui donne une bonne articulation entre la protection du travailleur et la sauvegarde de l’outil de production. C’est aussi et surtout une Inspection du Travail et de la Sécurité sociale proactive, contribuant activement à l’élaboration des meilleures stratégies de promotion de l’emploi et de la protection sociale.

Alioune FALL
Juristes d’Affaires, Inspecteur du Travail et de la Sécurité sociale

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