ACTUSEN
Contribution

De l’inanité des mesures prises contre le Covid-19 : de l’observation à l’action

Mouhamed Moustaphe Dieye

Socio-anthropologue

Département de sociologie

UCAD

L’observation est, dans le cadre de toute démarche de recherche, cette étape initiatrice et fondatrice du savoir. Elle est ce que les sciences sociales ont de commun avec toutes les autres sciences. Pour les sociologues et anthropologues, l’observation est un impératif catégorique que leur dicte la démarche sociologique. Mieux, l’observation des faits sociaux et l’analyse de données quantitatives issues du terrain induisent l’adoption d’une « attitude statistique » qu’ E. Durkheim érige en règle méthodologique dans Les règles de la méthode sociologique et dans le Suicide.

Perçu ainsi on admet que tout travail scientifique commence par des observations, et à ce sujet, un détour par l’histoire permet d’apprécier l’importance de l’observation telle qu’enseignée par la découverte, par hasard, de la théorie de la gravitation universelle. En effet, c’est en observant  la chute d’une pomme que Newton donna à l’observation ses lettres de noblesse. Observer, analyser certains comportements des sénégalais face aux mesures prises par les autorités politiques en ces temps de pandémie et susciter leur réévaluation pour endiguer l’épidémie du COVID-19, tel est l’objectif de cette contribution.

Du risque de contamination créé au niveau des boulangeries

 

Ayant été établi que le virus peut se déposer sur tous les supports et y rester en vie plusieurs
jours, il a été interdit aux boutiquiers de vendre le pain de peur que, du fait du non-respect des mesures élémentaires d’hygiène au niveau de ces espaces lors de la manipulation des pains, ces lieux soient des vecteurs de propagation de la maladie. Les boulangeries devenaient ainsi les seules structures autorisées à servir le pain. Est-il pertinent de prendre une mesure pareille sans se poser les questions ci-dessous ?

– Existe-t-il suffisamment de boulangeries dans les quartiers pour éviter de créer l’effet inverse de ce qui est recherché ?

– Les habitudes alimentaires des sénégalais, en cette période de ramadan, sont-elles compatibles avec cette mesure ?

Voilà de simples questions qui auraient permis d’apprécier la pertinence de cette mesure.

En tout état de cause, l’observation révèle que :

– des queues interminables continuent de se former au niveau des boulangeries ;

– les marchés continuent de fonctionner comme si de rien n’était avec une forte promiscuité ;

– la distance sociale tant demandée n’est pas respectée.

Pourtant, cette situation dangereuse s’impose à notre regard à nous tous, mais aucune mesure de correction n’est prise pour désamorcer ces foyers potentiels de contamination communautaire si ce n’est un projet de vente de pain en ligne. Quand comprendront-ils que le Sénégal ne se limite pas à Dakar, que dis-je à Fann-Résidence

Bigre ! Que font-ils des statistiques ?

Tous les jours, tel un rituel, le ministre, son directeur de cabinet, la directrice générale de la santé ou un haut responsable du ministère de la santé, à une heure précise, prend rendez-vous avec les sénégalais, juste pour un court moment, pour les informer sur la situation du COVID-19 dans le pays. Il s’agit toujours de la même litanie : nombre de personnes testées, nombre de cas positifs, nombre de cas contacts, nombre de cas de transmission communautaire, nombre de guéris et nombre de décès. L’analyse de ces informations sur l’évolution de la pandémie au Sénégal, à la date du 27 avril 2020 donne ceci : sur 736 cas déclares positifs, 284 sont guéris, 01 évacué, 09 décès et 442 sous traitement[1].

En m’arrêtant sur le contenu et le déroulement des campagnes d’information et de sensibilisation sur le COVID-19, je ne peux m’empêcher de me demander à quoi servent ces statistiques  ?

Cette question est intéressante puisqu’en désagrégeant ces statistiques, on obtient les profils suivant : sur les 9 décès, il y a 7 hommes et 2 femmes, 1 seule personne est âgée de 50 ans, 5 personnes ont entre 60 et 70 ans et 3 personnes se retrouvent dans la tranche d’âge entre 70 et 80 ans. Une simple moyenne arithmétique nous indique que la moyenne d’âge se situe aux environs de 68 ans ce qui signifie que toutes les personnes décédées du COVID-19 sont du 3ième âge. Si ce constat a été fait par les autorités compétentes, pourquoi aucune mesure n’a été prise pour repenser et réadapter la communication par rapport à cette cible constituée de personnes vulnérables. Au-delà de ce constat, il est établi que toutes les études qui ont été menées à travers le monde, particulièrement, celle publiée le 17 février 2020 par les autorités chinoises puis le 24 février 2020 par la revue médicale américaine Jama, montrent que le taux de mortalité augmente nettement avec l’âge.

Si le taux de mortalité est presque nul chez les moins de 10 ans, le taux passe  à 0,2% à moins de 39 ans puis à 0,4% chez les quadragénaires, 1,3% chez les 50-59 ans, 3,6% chez les 60-69 ans et 8% chez les 70-79 ans. Les personnes âgées de plus de 80 ans sont les plus à risque avec un taux de mortalité de 14,8%. Ces conclusions sont aussi confirmées par une étude britannique qui révèle que la gravité de la maladie était en moyenne beaucoup plus redoutable pour les plus de 60 ans[2] du fait aussi de la comorbidité. Nous savons aussi qu’au Sénégal, selon l’ANSD, le taux de prévalence de l’hypertension artérielle et du diabète chez les personnes du 3ième âge sont respectivement de 26% et 5,9%.

On se demande, alors, face à ces évidences, quand est ce que les autorités changeront-elles d’axe de communication ? N’est-il pas temps de penser aux personnes âgées ? N’est-il pas urgent de concevoir une campagne de sensibilisation qui leur soit spécifiquement dédiée ? Ne devons-nous pas les protéger en leur demandant instamment de s’auto-confiner ?

Des motos-taxis jakarta : de l’impossibilité de respecter la distance physique

 

Il a été rapporté, à plusieurs reprises, à travers la presse des cas de contagion au coronavirus générés par les nouvelles formes de transport urbain en l’occurrence les motos-taxis qui, aujourd’hui, constituent une alternative face à une demande constante des populations en mobilité rapide, flexible et accessible. On sait que l’apparition du COVID-19 à Kolda est liée aux conducteurs de motos-taxis qui, en empruntant les frontières terrestres, ont transporté des Sénégalais, qui ont transité par le Libéria et la Guinée.

Il est ainsi avéré que, malgré l’interdiction de la circulation interurbaine, les conducteurs de motos-taxis violent les mesures prises et passent par des voies de contournement pour transporter des personnes d’une région à une autre. L’observation de ce mode de transport défie toute la théorie de la proxémie sociale puisqu’on est en plein dans le « mode proche » de la  « distance intime ». Transportant parfois 2 ou 3 passagers, il faut admettre que la distance physique ne peut tout simplement pas être respectée et cette impossibilité exige une décision politique ferme et sans équivoque pour arrêter ce mode de transport qui, non seulement est un puissant vecteur de diffusion du virus entre les régions mais aussi de contamination entre les personnes.

Le Sénégal n’est pas la France où si ce n’est la départementale, c’est l’autoroute, ici, il y a une telle porosité des espaces et des territoires qu’il convient de mobiliser toutes les forces (police, gendarmerie, armée ) pour traquer et sanctionner de manière exemplaire tous les contrevenants, l’enjeu est de taille. Au-delà de ce constat, ce qui est le plus incompréhensible et que rapporte la presse, c’est le fait que malgré l’arrêté ministériel interdisant cette activité, certains motos-taxis continuent de circuler et des chauffeurs irresponsables transportent clandestinement des voyageurs moyennant de fortes sommes d’argent.

Que dire des marchés, de Tilène à Sandaga, en passant par Fleurus, Abdou Karim Bourgi, Sandiniery, Paul Holle, quiconque s’y rend est abasourdi par la désinvolture des  individus qui, face à l’évidente progression de la maladie, n’ont pas changé d’un iota leurs comportements.

Pour conclure, je voudrais rappeler ces propos de C. Bernard médecin et physiologiste qui,  dans  son ouvrage Introduction à l’étude de la médecine expérimentale écrivait dans le chapitre premier De l’observation et de l’expérience ceci : « Le savant complet est celui qui embrasse à la fois la théorie et la pratique expérimentale et qui après avoir constaté un fait, raisonne, expérimente et tire des conclusion ».

Devons-nous alors retenir qu’il ne peut exister de stratégie de communication qui ne tire son efficacité de l’observation et de la légitimité du terrain.

[1] Communiqué 57 du ministère de la santé et de l’action sociale

[2] L’étude du Lancet, conduite par des chercheurs d’Imperial College, de l’Université Queen Mary de Londres et de l’Université d’Oxford

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