Bien qu’interdite, la plage du Lac rose est très fréquentée et appréciée. Mais attention, « Malakal Mawti » y est très fréquent. En effet, en moyenne, elle enregistre une vingtaine de morts par an. Quarante-huit heures après le drame, Source A vous conduit sur les lieux du drame où les jeunes filles et garçons continuent de se la couler douce. Sans crainte ni pudeur, ils se baignent dans la mer et passent du bon temps. Et la tragédie qui vient de s’y dérouler et qui a emporté une dizaine d’élèves n’a pas su altérer leur passion pour l’Océan.
Accéder à la plage de Lac rose n’est pas chose simple. Il requiert plus d’un kilomètre (1 km) de marche ou à bord d’un moyen de transport pour aller plus vite. Après avoir dépassé le lac et escaladé les dunes de sable remplies de gigantesques chameaux, une grande forêt s’ouvre. Au fond d’un chemin dessiné par de longs arbres, l’on entend la sonorité des vagues. Un paysage digne d’une carte postale. Sur une allée de sable blanc à perte de vue, un groupe de jeunes qui marchent, la musique à fond, s’approchent de plus en plus. Glacière, serviette, vêtements trempés, ces ados viennent de célébrer l’anniversaire de leur camarade de classe, dans la gueule du loup.
Quarante-huit heures après la mort d’au moins six candidats au Bfem qui étaient venus se rafraîchir la mémoire au Lac rose, certains de leurs amis sont venus s’adonner à ce jeu dangereux. Inconscience ou ignorance du danger qu’ils encourent, telle est la grande question à laquelle Mohamed va répondre, d’emblée : « Nous préférons cette plage, parce que c’est plus calme et elle est propre. Il n’y a personne qui dérange. On s’est baignés et on est sur le point de rentrer. Nous sommes là depuis ce matin, pour célébrer l’anniversaire d’un camarade de classe. De base, ce n’était pas pour se baigner, mais l’envie de nous retrouver en cours de chemin. Je suis au courant de la noyade.’’
À notre question de savoir ça ne vous fait pas peur ? Mohamed répond : « C’est flippant, mais je me dis que, peut-être, ces enfants ne savaient pas trop nager. Moi, je suis un lébou, impossible pour moi de me perdre en mer. Parfois, des gens viennent nous regarder et repartir. Nous n’allons pas loin en mer.’’
Mohamed : « Le jour du drame, un de mes frères les a trouvés sur place en train de se baigner. Vu qu’il maîtrise un peu l’endroit, il leur a demandé de se déplacer et est parti avec son squad. Ils ont obéi, mais tu sais, les enfants sont souvent de nature têtue. Ils sont sûrement retournés dans la zone interdite et se sont malheureusement noyés »
Pour contourner les méfaits de cette plage, quoi de mieux qu’un guide touristique qui maîtrise tous les coins et recoins de la zone. En tout cas, il faut souligner que cette mer n’épargne personne. Chaque année, elle emporte des personnes d’âge mûr comme c’est le cas avec ces élèves. D’après ses explications, la mer se creuse et forme des canaux de tourbillons. Pire, tout le monde n’a pas la capacité de les détecter. Même sur la périphérie, si la personne ne fait pas attention, elle peut s’y engloutir et perdre la vie, facilement.
« Le jour du drame, un de mes frères a trouvé les élèves sur place en train de se baigner. Vu qu’il maîtrise un peu l’endroit, il leur a demandé de se déplacer et est parti avec son squad. Ils ont obéi, mais tu sais, les enfants sont souvent de nature têtue. Ils sont sûrement retournés dans la zone interdite et se sont malheureusement noyés. Ce n’est pas la première fois et ce ne sera pas le dernier cas de noyade.
Lamine : ‘’La mer se creuse et forme des canaux de tourbillons. Même sur la périphérie, si la personne ne fait pas attention, elle peut s’y engloutir et perdre la vie, facilement. L’année passée, mon frère a perdu la vie ici même’’
L’année passée, mon frère a perdu la vie ici même, se lamente Lamine. « Les canaux s’ouvrent à tout moment et emportent tout ce qu’ils trouvent sur son passage. Il n’y a pas d’âge pour y échapper. Je pense qu’il est temps d’y déployer, au moins, des maîtres-nageurs. De prendre des gens qui maîtrisent un peu les caprices de cette plage. Nous en avons marre de voir tout le temps nos frères périr. Le week-end, les enfants font des choses indescriptibles dans la forêt », explique-t-il.
Toutefois, à côté, il y a des personnes conscientes du danger. C’est comme Soumaré qui est fréquemment dans la plage pour des séances sportives. Avec cette chaleur, la tentation est toujours là pour se rafraîchir, mais le sportif ne compte pas jouer avec sa vie. Trempé dans sa tenue noire et blanche, à bout de souffle, il lâche : « Cette plage fait partie des plus calmes de la région de Dakar. Donc, si j’ai du temps libre, j’en profite pour faire mon sport. Au début, je me baignais ici sans problème. Mais maintenant, ça ne me traverse pas la tête. C’est une plage interdite et tout le monde le sait. Je mentirai si je dis que parfois l’envie d’y entrer ne me traverse pas mais je tiens trop à ma vie ! »
« Si cette plage est vraiment interdite, il va falloir déployer les moyens de barrer tout accès. »
« A chaque fois j’essaie de conscientiser les enfants qui viennent ici en vain. Ils n’en font qu’à leur tête. Ils viennent en groupe et avec la crise d’ado, c’est perdu d’avance. Si cette plage est vraiment interdite, il va falloir déployer les moyens de barrer tout accès. Ou mettre des gardiens qui veilleront à cela. Mais dire juste que c’est interdit, c’est trop facile et simple pour empêcher ces petits de venir ici », ajoute-t-il, avant de reprendre ses séries de squats.
Devant sa boutique d’accessoires africains, nous avons rencontré le président du Village artisanal de Lac rose. Mor Guèye, un mentor de la Zone, déballe tout : ‘’C’est un endroit très animé, en période de vacances, surtout le week-end. Avec l’été et la chaleur, il est toujours bondé de monde. Des gens viennent passer la journée et rentrer. Et ce, au rythme, du vendredi au dimanche soir. Conséquence, les noyades commencent à devenir fréquentes. Nous avons eu deux cas de noyade, cette semaine. Ça commence à devenir récurrent. L’année passée, c’était aussi la même chose. C’est un milieu touristique certes, mais la plage est dangereuse ; elle est d’ailleurs interdite. La Gendarmerie fait souvent des descentes pour canaliser les enfants. Ça nécessite un effectif conséquent. »
Mor Guèye, président du Village artisanal de Lac rose : « Nous avons eu deux cas de noyade, cette semaine. Cette plage fait, en moyenne, une quinzaine de morts, voire plus par année. »
S’agissant des mesures sécuritaires, le président du Village artisanal de Lac rose défend l’idée relative à l’interdiction de baignade dans cet endroit : « Cette plage est formellement interdite. Seuls les gendarmes peuvent régler la situation et je pense qu’ils n’ont pas assez d’effectif pour faire bouger autant de monde. Je suggère, durant les vacances, qu’on mette des maîtres-nageurs pour surveiller les enfants, parce que cette plage est dangereuse. »
Sur sa chaise, jambes croisées, Mor Guèye poursuit : ‘’La mer tue d’une manière très violente. Tu peux te lever un jour et apprendre que onze enfants se sont noyés, quatre ; parfois, cinq. Elle fait en moyenne une quinzaine de morts, voire plus, par année. Souvent, on y retrouve des corps sans vie. Par exemple, ceux qui s’étaient noyés hier, certains ont atterri ce matin. Elle n’épargne personne. Elle emporte autant les enfants que les grandes personnes. Si tu ne tombes pas sur une bonne volonté comme le jeune homme qui avait sauvé une femme, l’année dernière, ça serait la fin pour toi. »
Aïssatou TALL (SourceA)