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Pèlerinage à la Mecque, pourquoi cette flambée des prix ou ce laisser-aller ? (Par Cheikh Oumar Tall)

Contribution : l’Etat doit stopper la gourmandise des privés

Tout musulman dans le monde aspire à effectuer le pèlerinage à la Mecque toute sa vie durant ou, au moins une fois dans sa vie. Cela ne veut pas dire que dès que l’on effectue le pèlerinage une fois, on ne doit plus le faire plusieurs fois. Aller à la Mecque une fois est une obligation. Mais les autres fois c’est faire le « nafila ». Lorsque l’on prie entre le crépuscule et la dernière prière du soir, l’on peut rester dans la mosquée et faire quelques « rakkas » supplémentaires, ce qui constitue des « nafilas ». C’est la même chose qu’avec le ramadan car, après la fin du mois de ramadan l’on peut jeûner quand on veut alors que ce n’est  pas obligatoire,  c’est une forme de « nafila ».  Aussi, aller à la Mecque plusieurs fois, c’est comme effectuer des « nafilas ». Si Dieu doit payer au musulman sa foi et son pèlerinage, alors c’est tout bénéfice d’effectuer plusieurs pèlerinages, autant que l’on peut. Le musulman vit dans l’espoir que tous ses actes de dévotion lui seront rétribués par Dieu, alors s’il multiplie ses pèlerinages, il a l’espoir qu’à chaque fois Dieu lui ajoute quelques points. Même s’il sait que ce n’est pas évident, il espère bien que chacun de ses actes lui sera rétribué en points positifs. Dieu n’impose à personne d’effectuer plusieurs pèlerinages s’il n’en a pas les moyens, mais  s’il en a les moyens, rien ne l’empêche d’aller à la Mecque autant de fois qu’il peut.

Mais il se trouve que le Sénégal est l’un des pays où le prix du package pour le pèlerinage à la Mecque est l’un des plus chers au monde. Ici en Afrique, les prix des billets pour la Mecque varient entre 2.500.000 et 3 millions. Rien qu’en Côte d’Ivoire par exemple, le prix du billet est de 2 millions pour les vols affrétés par l’Etat. S’il y a spéculation c’est donc le fait des privés. Au Cameroun et au Niger c’est pareil, les prix n’atteignent pas 3 millions. Pour berner leur monde, certains privés sénégalais inventent toutes sortes de prétextes mystificateurs comme le fait que leurs pèlerins sont logés dans des hôtels 5 étoiles pour justifier la cherté du package. Est-ce qu’un pèlerin va à la Mecque pour loger dans des hôtels 5 étoiles ? Le pèlerinage est un acte de foi et de sacrifice. Est-ce que loger dans un hôtel 5 étoiles est un acte de sacrifice ? On ne peut pas aller à la Mecque sans souffrir un peu, sans éprouver de la fatigue. Ce sont ces sacrifices-là qui donnent du sens au pèlerinage, car même le prophète (PSL) a beaucoup souffert en effectuant le pèlerinage. Mais si un pèlerin veut faire du tourisme, loger dans les plus beaux hôtels, buffet garni, à deux pas de la Kaaba, il ne souffre pas. Ce genre de pèlerinage est trop facile car l’on a tout à portée de main. Car effectuer le pèlerinage est un acte de foi et de dévotion. Or, un acte de foi est de dévotion suppose des sacrifices, de la souffrance. C’est donc parce que certains pensent que le pèlerinage c’est comme faire du tourisme, que les opérateurs privés en profitent pour afficher des prix exorbitants. Et l’Etat laisse faire en se désengageant totalement du pèlerinage. Cela veut donc dire qu’il s’en lave les mains.

Pourtant, s’il continuait à convoyer lui-même des pèlerins, il entre en concurrence avec les privés et entre les privés eux-mêmes qui, dans ce cas ne pourront plus afficher les prix qui leur plaisent. Mais si l’Etat ne fait pas partie de la concurrence, les privés vont s’entendre entre eux et fixer les prix qu’ils veulent. Si l’un d’eux fixe son package à 5 millions, les autres vont alors proposer le même prix. Qui dans notre pays peut se permettre de payer 5 millions ou plus pour effectuer le pèlerinage ? Sans compter qu’il faut aussi avoir de l’argent de poche pour effectuer des achats et des cadeaux à offrir au retour, à la fin du pèlerinage. En tout cas, ceux qui peuvent le faire ne sont pas nombreux. Et les 5 millions que dépense le pèlerin entrent intégralement dans la poche du privé. Si cela se poursuit, seuls les riches vont effectuer le pèlerinage, la classe moyenne n’aura pas les moyens d’accomplir ce geste de dévotion obligatoire pour tout musulman.

Aussi il convient de dénoncer, ou même de démystifier le fait de vouloir loger les pèlerins dans des hôtels 5 étoiles. Car c’est une manière de singer les occidentaux qui, pour leur politique touristique proposent de loger les pèlerins dans des hôtels de luxe. Or, le pèlerinage ce n’est pas du tourisme. Personne n’est obligé de loger dans de grands hôtels car, à la Mecque il y’en a pour toutes les bourses, le pèlerin peut loger où il veut selon ses moyens. Il y a des hôtels de qualité mais qui ne sont pas chers. D’ailleurs la plupart des asiatiques et africains logent dans ce genre d’hôtels qui n’ont pas d’étoile mais qui sont de très bonne qualité avec toutes les commodités que souhaite avoir le pèlerin à sa portée et à deux pas de la Kaaba. Alors pourquoi les Sénégalais ne sont pas logés dans ces endroits ? Il y a même des maisons qui accueillent des pèlerins, des maisons luxueuses comme celles des Almadies et qui ne coutent pas cher à la location le temps d’un pèlerinage. C’est là que sont logés les Burkinabés ou les Ivoiriens, en tout cas beaucoup d’Africains. Pourquoi pas nous ?

En tout cas il faut revoir à la baisse le prix du package car il est trop élevé.

Cette année, le quota octroyé au Sénégal est de 12.860 pèlerins sur lesquels l’Etat ne convoie que 1860 d’entre eux. Tous les 11.000 pèlerins qui restent seront convoyés par des privés qui, du coup, organisent une entente tacite entre eux et fixent des prix trop élevés.

Cette année, le premier vol des privés pour convoyer les pèlerins va décoller à partir du 8 juin. Mais le premier vol organisé par l’Etat ne prendra les airs que le 14 juin. Mais dans beaucoup d’avions, il existe des vols mixtes. C’est-à-dire que dans ces avions, il y a des pèlerins convoyés par l’Etat et d’autres convoyés par les privés. C’est dire qu’ils paient le billet d’avion au même prix. En fait ce qui augmente le prix du package ce n’est pas le billet d’avion mais bien les autres services offerts, c’est-à-dire l’hôtel. Et pourtant les pèlerins convoyés par l’Etat sont parfois logés dans de meilleurs hôtels que ceux de certains privés. Alors comment justifier que l’Etat convoie ses pèlerins avec un package qui est de 3.950.000 tout compris (voyage et hôtels) tandis que les privés proposent un package à 5.400.000 ? Et comment comprendre qu’entre les privés eux-mêmes certains logent leurs pèlerins dans des maisons, d’autres dans des hôtels 5 étoiles alors que le prix de leurs packages est le même ?

Dans notre pays comme dans tous les pays, c’est l’Etat qui fixe et régule tous les prix, ceux du riz, de l’huile, du loyer et même des boîtes d’allumettes. Mais pourquoi ne régule-t-il pas les prix des packages pour le pèlerinage à la Mecque ? Il doit le faire parce que c’est un marché commercial. Donc l’Etat ne doit pas laisser les privés faire la loi et imposer leurs prix à leur guise. Dans beaucoup de pays asiatiques et même africains, c’est l’Etat qui fixe un prix plafond, une barre à ne pas franchir. C’est le cas au Tchad et au Niger.

Il faut donc qu’au Sénégal l’Etat régule les prix. Dans beaucoup de pays africains comme la Côte d’Ivoire ou le Cameroun, l’Etat subventionne même le pèlerinage. Aussi cette année, les pèlerins ivoiriens qui prennent la filière gouvernementale ne paient que 2 millions. Pourquoi le Sénégal ne fait pas pareil en subventionnant le Hajj ? Ou à tout le moins réguler les prix des billets d’avion en enlevant les taxes ? Si les prix des billets d’avion sont détaxés, le prix du package en deviendra forcément moins cher. Notre pays compte 95% de musulmans et, par conséquent, 95% de notre budget national annuel est alimenté en recettes par les musulmans alors pourquoi l’Etat ne subventionnerait-t-il pas les musulmans qui souhaitent aller à la Mecque ?

D’ailleurs il faut savoir que certains privés sont comme des intermédiaires qui vivent sur le dos des Sénégalais. Ils sont comme ces « téfankés » qui prennent un bœuf chez l’éleveur à un prix bas, le revendent au boucher à un prix beaucoup plus élevé, lequel revend au consommateur le kilo à un prix trop élevé. Ils sont comme ces « coxeurs » qui cherchent des clients pour le transporteur et se font payer sur l’argent du passager. Donc les privés vivent sur le dos de leurs clients, sur le dos de l’islam. Il faut le dénoncer vigoureusement. Il faut surtout dénoncer le mythe des hôtels 5 étoiles car la plupart des Sénégalais qui vont à la Mecque habitent ici dans des maisons très modestes, certains vivent même dans des baraques et veulent loger dans des hôtels 5 étoiles alors qu’au Sénégal ils tirent le diable par la queue. Il faut surtout arrêter de proposer aux pèlerins de les loger dans des hôtels de luxe. Il est vrai que ceux qui en ont les moyens peuvent se le permettre mais ce n’est pas à la portée des simples « goorgoolous » qui rêvent de luxe sans en avoir les moyens. Si les pèlerins ne sont pas logés dans des hôtels 5 étoiles et si le prix du billet d’avion est détaxé, alors le prix du package (hôtel Makka et Médine, billet d’avion, taxes saoudiennes des tentes à Mina et Arafat, restauration, transfert intérieur en bus etc.) sera abordable pour tous ceux qui souhaitent se rendre aux lieux saints.

Nos compatriotes qui vivent en Europe nous plaignent d’ailleurs lorsque l’on se rencontre à la Mecque car ils trouvent que nous payons trop cher pour effectuer le pèlerinage. Eux, ceux qui vivent en Allemagne, en France ou en Italie, dépensent 1500 euros, soit moins d’un million Cfa pour faire la « Oumra » (deux semaines) en logeant dans des hôtels 5 étoiles à deux pas de la Kaaba et pour le Hajj 5000 euros (3 millions Cfa).

Tandis que les privés sénégalais demandent pour la Oumra au bas mot 2.800.000 Cfa pour dix jours (à part Cheikhouna Faye de Safir tour qui convoie pour la OUMRA à 1.500.000 Cfa) et, pour le Hajj les autres privés demandent entre 4.500.000 et jusqu’à 7 millions Cfa pour trois semaines. Tout ce désordre est provoqué par le conglomérat d’opérateurs : il existe en effet plusieurs groupes qui amènent des pèlerins à la Mecque dont des GIE, des Dahiras confrériques, des associations professionnelles corporatives (directions et sociétés de l’Etat), etc. Et tout ce beau monde veut afficher les mêmes prix que les agences de voyage officielles possédant la licence IATA ou des convoyeurs privés qui n’ont pas les mêmes charges que ces opérateurs. Ces petits opérateurs logent leurs pèlerins dans de modestes demeures tandis que les agences de voyage IATA payent le prix fort pour les hôtels de luxe. Ils ne peuvent donc pas proposer les mêmes prix mais, curieusement, leur package est aligné sur ceux des agences IATA, ce qui est paradoxal.

L’Etat ne subventionne rien, il ne fait que satisfaire sa clientèle politique. Déjà il existe trois délégués généraux pour le pèlerinage. Le premier a rang de ministre et le troisième adjoint est un responsable politique de Benno Bokk Yaakar. Pourquoi trois délégués généraux pour une seule organisation alors que seul le délégué général suffisait, qui sera épaulé par un adjoint et son coordonnateur.

Pour le transport aérien, il faut que l’Etat lance un appel d’offre et sélectionne le plus offrant parmi les soumissionnaires, ce qui contribuera à baisser le prix du package. Dans le même sens, il faut que la délégation générale du pèlerinage s’évertue à vérifier les fiches de produit et contrôle les hôtels de chaque agence privée à Makka et à Médine.

Quoi qu’il en soit, le prix du package doit être revu considérablement à la baisse, c’est à ce prix que le Sénégalais moyen pourra effectuer le pèlerinage à la Mecque.

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