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Contribution

Hommage à Bruno Diatta Adieu doyen, l’homme-protocole ! (Omar Demba Ba)

L’hommage national rendu au Ministre Bruno Diatta le jeudi 27 septembre 2018 devant le Palais de la République suffit pour comprendre la place que l’homme et le fonctionnaire émérite occupait dans le cœur des Sénégalais, au sein de l’Etat et de la République. Ceci est un humble témoignage sur un compagnonnage de 18 ans avec l’illustre défunt.

Les mots sonnent creux, vains et indigents, face au sentiment de douleur et de tristesse que provoque la disparition de l’Ambassadeur Diatta. La peine est amère, étouffante. On a beau chercher dans un ailleurs insaisissable ce qui peut atténuer le chagrin et le porter au lointain du non-retour, rien n’y fait…

La mort de Bruno Diatta est une perte cruelle, une perte collective. Si tout le monde l’appelait Bruno, sans égard pour le protocole dont il était la sentinelle, c’est que, derrière le masque de la fonction, l’homme était si affable et d’un commerce si avenant qu’il suscitait, en juste retour, familiarité et empathie.

Maître incontesté du cérémonial, Bruno avait fini par se fondre et se confondre dans la fonction qu’il exerça quatre décennies durant, avec une aisance inégalable, pour devenir finalement l’homme-protocole.

Les tâches protocolaires relèvent de celles qui s’exercent à plein régime, qui demandent une disponibilité de tout instant, une attention jamais assoupie, une application sérieuse et ordonnée. Dans les relations entre Etats, toute erreur protocolaire, si minime soit-elle, est sujette à de fâcheuses conséquences.

A l’échelle de Bruno Diatta, la charge était encore plus pesante. Mais il l’a toujours portée avec grâce et sérénité. On ne gère pas le quotidien de quatre Chefs d’Etat, pendant quatre décennies en restant dans l’ordinaire. Il faut relever des catégories d’exception. Tel fut le cas de l’illustre défunt. Chez lui, le protocole était un sacerdoce, un don de soi indifférent aux heures classiques de bureau et aux mondanités.

Ce qui frappe chez l’homme, c’est son ardeur unique au travail, doublée d’une admirable quiétude et d’un esprit d’organisation, de méthode et d’anticipation hors pair. Trois choses lui étaient inséparables : la montre, le stylo et le bloc-notes ; traduisant le souci constant qu’il avait du temps et de la précision, parce qu’il mesurait pleinement la gravité des responsabilités attachées à sa mission.

J’ai souvenance de sa définition pédagogique du protocole pour rendre compte de la complexité de l’exercice : l’art de construire, de déconstruire et de reconstruire.  Construire, parce qu’il faut prévoir et programmer. Déconstruire, parce qu’il faut savoir comment ajuster ou déprogrammer quand survient l’imprévu. Reconstruire enfin, en remettant les choses en l’état quand ce qui n’est pas possible aujourd’hui le redevient demain. L’homme ne manquait pas d’humour, comme en témoigne sa métaphore favorite quand un évènement prévu dans l’agenda était encore incertain : « ah Oumar, cet évènement est encore inscrit au crayon, et en pointillés »,  me disait-il alors.

Dans les méandres insoupçonnés du protocole, il était le Monsieur-solution, à la formule magique, le « sésame, ouvre-toi ! » qui déverrouille les portes closes, comme s’il tenait en permanence dans la main une clef invisible.

Dans le dispositif protocolaire de l’Etat et de la République, Bruno était à l’image de l’aiguilleur du ciel, invisible dans sa tour de contrôle, mais régissant net le trafic, en assignant à chacun sa place et son couloir.

J’ai eu le bonheur et le privilège de côtoyer l’illustre défunt pendant 18 ans. Bruno était pour moi un voisin de bureau sociable, un grand frère bienveillant, un compagnon de route affable, une source intarissable de pondération, de politesse, de sagesse et d’inspiration. La diplomatie et le protocole étant deux faces inséparables d’une même pièce, nous avons partagé d’intenses et agréables moments de travail, toujours dans la bonne humeur.

Que de leçons apprises à l’ombre bienfaisante de mon sénior ! J’en citerai une seule, qui résume la personnalité de légende que fut Bruno Diatta : le respect de la distance réglementaire. Alors qu’il pouvait se prévaloir de ses longs états de service et des affinités inhérentes à ses prestigieuses fonctions, Bruno a toujours su faire la part des choses. Vouant à l’autorité un respect absolu en tout temps et en tout lieu, il laissait à celle-ci son « espace vital », une fois sa tâche accomplie. Jamais encombrant, le devoir satisfait, il rendait les  honneurs et vite, prenait congé, se retirant à la hâte, les yeux rivés sur la montre, pensant déjà à la prochaine mission.

Professionnel et républicain, il faisait sienne la règle d’or qui veut que les affaires de famille et d’ami s’arrêtent là où commencent celles de l’Etat. C’est ce qu’il appelait le respect de la distance réglementaire : respecter l’Etat, respecter la République, respecter ceux et celles qui incarnent l’Etat et la République. Il savait qu’en République, c’est le respect des Institutions qui les fortifie, assure leur impartialité, fonde leur pérennité et protège le bien commun.  Une leçon de civisme à titre posthume.

Finalement, le respect de la distance réglementaire, Bruno l’observait à l’égard de tous. Cultivant l’humilité à merveille, il savait que dans la vie en société, il n’y a pas de place pour l’égo, que nous sommes tous d’égale dignité, comme égaux devant la mort ; et que chacun, indifféremment de ses origines et de son statut social, mérite respect et considération.

Merci, Maître, pour cette leçon de vie.

A ta famille éplorée, à ton épouse, à tes enfants et à l’ensemble de tes collaborateurs, la Cellule diplomatique de la Présidence de la  République renouvelle ses condoléances émues et l’expression de sa profonde compassion.

Tu vivras toujours dans nos cœurs et nos esprits.

Repose en paix, cher doyen.

Oumar Demba Ba

Conseiller diplomatique du Président de la République

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