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Allocution d’Emmanuel Macron : « la Russie a déjà fait du conflit ukrainien un conflit mondial »

 Françaises, Français, mes chers compatriotes, je m’adresse à vous ce soir en raison de la situation internationale et de ses conséquences pour notre pays et pour l’Europe, et cela après plusieurs semaines d’actions diplomatiques. Vous êtes, en effet, je le sais, légitimement inquiets devant les événements historiques en cours qui bouleversent l’ordre mondial. La guerre en Ukraine, qui a entraîné près d’un million de morts et de blessés, continue avec la même intensité.
Les Etats-Unis d’Amérique, notre allié, ont changé leur position sur cette guerre, soutiennent moins l’Ukraine et laissent planer le doute sur la suite. Dans le même temps, les mêmes Etats-Unis d’Amérique entendent imposer des tarifs douaniers aux produits venant d’Europe. Enfin, le monde continue d’être sans cesse plus brutal et la menace terroriste ne faiblit pas.
Au total, notre prospérité et notre sécurité sont devenues plus incertaines, et il faut bien le dire, nous rentrons dans une nouvelle ère. La guerre en Ukraine dure maintenant depuis plus de 3 ans. Nous avons, dès le 1er jour, décidé de soutenir l’Ukraine et de sanctionner la Russie, et nous avons bien fait.
Car c’est non seulement le peuple ukrainien qui lutte avec courage pour sa liberté, mais c’est aussi notre sécurité qui est menacée. En effet, si un pays peut envahir impunément son voisin en Europe, alors personne ne peut plus être sûr de rien, et c’est la loi du plus fort qui s’applique, et la paix ne peut plus être garantie sur notre continent même. L’histoire nous l’a enseigné.
Au-delà de l’Ukraine, la menace russe est là et touche les pays d’Europe, nous touche. La Russie a déjà fait du conflit ukrainien un conflit mondial. Elle a mobilisé sur notre continent des soldats nord-coréens, des équipements iraniens, tout en aidant ces pays à s’armer davantage.
La Russie du président Poutine viole nos frontières pour assassiner des opposants, manipule les élections en Roumanie, en Moldavie. Elle organise des attaques numériques contre nos hôpitaux pour en bloquer le fonctionnement. La Russie tente de manipuler nos opinions avec des mensonges diffusés sur les réseaux sociaux.
Elle teste nos limites. Elle le fait dans les airs, en mer, dans l’espace et derrière nos écrans. Cette agressivité ne semble pas connaître de frontières.
Et la Russie, dans le même temps, continue de se réarmer, dépensant plus de 40 % de son budget à cette fin. D’ici 2030, elle prévoit d’encore accroître son armée, d’avoir 300 000 soldats supplémentaires, 3 000 chars, 300 avions de chasse de plus. Qui peut donc croire, dans ce contexte, que la Russie d’aujourd’hui s’arrêtera à l’Ukraine ? La Russie est devenue, au moment où je vous parle et pour les années à venir, une menace pour la France et pour l’Europe.
Je le regrette très profondément. Et je suis convaincu qu’à long terme, la paix se fera sur notre continent avec une Russie redevenue apaisée et pacifique. Mais la situation que je vous décris est celle-là et nous devons faire avec.
Alors, face à ce monde de danger, rester spectateur serait une folie. Il s’agit, sans plus tarder, de prendre des décisions pour l’Ukraine, pour la sécurité des Français, pour la sécurité des Européens. Pour l’Ukraine, d’abord.
Toutes les initiatives qui aident à la paix vont dans le bon sens et je veux, ce soir, les saluer. Nous devons continuer d’aider les Ukrainiens à résister jusqu’à ce qu’ils puissent négocier avec la Russie une paix solide pour eux-mêmes et pour nous tous. C’est pour cela que le chemin qui mène à la paix ne peut pas passer par l’abandon de l’Ukraine.
Bien au contraire. La paix ne peut pas être conclue à n’importe quel prix et sous le dictat russe. La paix ne peut pas être la capitulation de l’Ukraine.
Elle ne peut pas être son effondrement. Elle ne peut pas davantage se traduire par un cessez-le-feu qui serait trop fragile. Et pourquoi ? Parce que là aussi, nous avons l’expérience du passé.
Nous ne pouvons pas oublier que la Russie a commencé d’envahir l’Ukraine dès 2014 et que nous avons alors négocié un cessez-le-feu à Minsk. Et la même Russie n’a pas respecté ce cessez-le-feu et nous n’avons pas été capables de maintenir les équilibres faute de garanties solides. Aujourd’hui, on ne peut plus croire la Russie sur parole.
L’Ukraine a droit à la paix et la sécurité pour elle-même. Et c’est notre intérêt, et c’est l’intérêt de la sécurité du continent européen. C’est en ce sens que nous travaillons avec nos amis britanniques, allemands et plusieurs autres pays européens.
C’est pourquoi vous m’avez vu ces dernières semaines rassembler plusieurs d’entre eux à Paris, aller les retrouver il y a quelques jours à Londres pour consolider les engagements qui sont nécessaires à l’Ukraine. Une fois la paix signée, pour que l’Ukraine ne soit pas à nouveau envahie par la Russie, il nous faut le préparer. Cela passera à coup sûr par un soutien à l’armée ukrainienne dans la durée.
Cela passera aussi, peut-être, par le déploiement de forces européennes. Celles-ci n’iraient pas se battre aujourd’hui. Elles n’iraient pas se battre sur la ligne de front.
Mais elles seraient là, au contraire, une fois la paix signée, pour en garantir le plein respect. Dès la semaine prochaine, nous réunirons à Paris les chefs d’État-major des pays qui souhaitent prendre leurs responsabilités à cet égard. C’est ainsi un plan pour une paix solide, durable, vérifiable, que nous avons préparé avec les Ukrainiens et plusieurs autres partenaires européens et que j’ai été défendre aux Etats-Unis il y a 15 jours et à travers l’Europe.
Et je veux croire que les Etats-Unis resteront à nos côtés. Mais il nous faut être prêts si tel n’était pas le cas. Que la paix en Ukraine soit acquise rapidement ou non, les Etats européens doivent, compte tenu de la menace russe que je viens de vous décrire, être capables de mieux se défendre et de dissuader toute nouvelle agression.
Oui, quoi qu’il advienne, il nous faut nous équiper davantage, hausser notre position de défense, et cela pour la paix même, pour dissuader. A ce titre, nous restons attachés à l’OTAN et à notre partenariat avec les Etats-Unis d’Amérique. Mais il nous faut faire plus, renforcer notre indépendance en matière de défense et de sécurité.
L’avenir de l’Europe n’a pas à être tranché à Washington ou à Moscou. Et oui, la menace revient à l’Est. Et l’innocence, en quelque sorte, des 30 dernières années, depuis la chute du mur de Berlin, est désormais révolue.
A Bruxelles, demain, lors du Conseil extraordinaire, qui réunira les 27 chefs d’Etat et de gouvernement avec la Commission et le président du Conseil, nous franchirons des pas décisifs. Plusieurs décisions seront prises que la France proposait depuis plusieurs années. Les Etats membres pourront accroître leurs dépenses militaires sans que cela soit pris en compte dans leur déficit.
Des financements communs massifs seront décidés pour acheter et produire sur le sol européen des munitions, des chars, des armes, des équipements parmi les plus innovants. J’ai demandé au gouvernement d’être mobilisé pour que, d’une part, cela renforce nos armées le plus rapidement possible, et d’autre part, que cela accélère la réindustrialisation dans toutes nos régions. Et je réunirai avec les ministres compétents et les industriels du secteur dans les prochains jours.
L’Europe de la défense, que nous défendons depuis 8 ans, devient donc une réalité. Cela veut dire des pays européens davantage prêts à se défendre et à se protéger, qui produisent ensemble les équipements dont ils ont besoin sur leur sol, qui sont prêts à davantage coopérer, à réduire leurs dépendances à l’égard du reste du monde. Et c’est une bonne chose.
L’Allemagne, la Pologne, le Danemark, les Etats baltes et nombre de nos partenaires ont annoncé des efforts inédits en matière de dépenses militaires. Alors, dans ce temps de l’action qui s’ouvre enfin, la France a un statut particulier. Nous avons l’armée la plus efficace d’Europe.
Et grâce aux choix faits par nos aînés après la Deuxième Guerre mondiale, nous sommes dotés de capacités de dissuasion nucléaire. Ceci nous protège beaucoup plus que nombre de nos voisins. Et de plus, nous n’avons pas attendu l’invasion de l’Ukraine pour faire le constat d’un monde inquiétant.
Et à travers les deux lois de programmation militaire que j’ai décidées et que les parlements successifs ont votées, nous aurons doublé le budget de nos armées en presque 10 ans. Mais compte tenu de l’évolution des menaces, de cette accélération que je viens de décrire, nous aurons à faire de nouveaux choix budgétaires et des investissements supplémentaires qui sont désormais devenus indispensables. J’ai demandé au gouvernement d’y travailler le plus vite possible.
Ce seront de nouveaux investissements qui exigent de mobiliser des financements privés, mais aussi des financements publics, sans que les impôts ne soient augmentés. Pour cela, il faudra des réformes, des choix, du courage. Notre dissuasion nucléaire nous protège.
Elle est complète, souveraine, française de bout en bout. Elle a, depuis 1964, de manière explicite, toujours joué un rôle dans la préservation de la paix et de la sécurité en Europe. Mais répondant à l’appel historique du futur chancelier allemand, j’ai décidé d’ouvrir le débat stratégique sur la protection par notre dissuasion de nos alliés du continent européen.
Quoi qu’il arrive, la décision a toujours été et restera entre les mains du président de la République, chef des armées. Maîtriser notre destin, devenir plus indépendant, nous devons y œuvrer au plan militaire, mais aussi au plan économique. Oui, l’indépendance économique, technologique, industrielle et financière sont des nécessités.
Nous devons aussi nous préparer à ce que les Etats-Unis décident de tarifs douaniers sur les marchandises européennes, comme ils viennent de le confirmer à l’encontre du Canada et du Mexique. Cette décision incompréhensible, tant pour l’économie américaine que pour la nôtre, aura des conséquences sur certaines de nos filières. Elle accroît la difficulté du moment, mais elle ne restera pas sans réponse de notre part.
Alors, tout en préparant la riposte avec nos collègues européens, nous continuerons, comme je l’ai fait, voilà 15 jours, à tout tenter pour convaincre que cette décision nous ferait du mal à tous. Et j’espère, oui, convaincre et en dissuader le président des Etats-Unis d’Amérique. Au total, le moment exige des décisions sans précédent, depuis bien des décennies.
Sur notre agriculture, notre recherche, notre industrie, sur toutes nos politiques publiques, nous ne pouvons pas avoir les mêmes débats que Naguère. C’est pourquoi j’ai demandé au Premier ministre et à son gouvernement, et j’invite toutes les forces politiques, économiques et syndicales du pays, à leur côté, à faire des propositions à l’aune de ce nouveau contexte. Les solutions de demain ne pourront être les habitudes d’hier.
Mes chers compatriotes, face à ces défis et ces changements irréversibles, il ne faut céder à aucun excès, ni l’excès des va-t-en guerre, ni l’excès des défaitistes. La France ne suivra qu’un cap, celui de la volonté pour la paix et la liberté, fidèle en cela à son histoire et à ses principes. Oui, c’est ce en quoi nous croyons, pour notre sécurité, mais c’est ce en quoi nous croyons aussi, pour défendre la démocratie, une certaine idée de la vérité, une certaine idée d’une recherche libre, du respect dans nos sociétés, une certaine idée de la liberté d’expression, qui n’est pas le retour des discours de haine, au fond, une certaine idée de l’humanisme.
C’est cela ce que nous portons et qui se joue. Notre Europe possède la force économique, la puissance et les talents pour être à la hauteur de cette époque, et que nous nous comparions aux Etats-Unis d’Amérique et a fortiori à la Russie, nous en avons les moyens. Nous devons donc agir en étant unis en Européens et déterminés à nous protéger.
C’est pourquoi la patrie a besoin de vous, de votre engagement. Les décisions politiques, les équipements militaires, les budgets sont une chose, mais ils ne remplaceront jamais la force d’âme d’une nation. Notre génération ne touchera plus les dividendes de la paix.
Il ne tient qu’à nous, que nos enfants récoltent demain les dividendes de nos engagements. Alors, nous ferons face ensemble. Vive la République, vive la France.

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