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Cour suprême : le Président Macky Sall et les magistrats abordent «la protection de la vie privée» avec son lot de contraintes  

L’année judiciaire 2024 a été symboliquement et solennellement déclarée ouverte ce jeudi par le chef de l’Etat, Macky Sall. Sous le thème : «la Protection de la vie privée», le discours d’usage a été prononcé cette année par Barou Diop, magistrat, Conseiller délégué à la Cour suprême. Dans son propos, il souligne d’entrée qu’ «au Sénégal, l’actualité est dominée, depuis quelques années, par une tendance inquiétante qui s’est développée et est devenue aujourd’hui bien ancrée dans les habitudes : la divulgation de contenus privés sur les réseaux sociaux qui finissent sur la place publique». Pourtant, ces agissements malveillants, par la diffusion d’une conversation privée, de messages électroniques, d’images et autres, sans avoir le consentement de la personne concernée, portent atteinte au droit à la vie privée.

Mieux, Barour Diop rappelle que concept de vie privée n’est pas, pour autant, absent de la culture africaine. « Par exemple au Sénégal la notion de ‘‘sutura’’ est bien ancrée dans les pratiques. Ce mot de la langue Wolof renvoie à une exigence morale de protection de ses activités personnelles et de sa vie intime, du regard des autres », ajoutera-t-il.

Barou Diop : «Avec le développement technologique, la question est devenue cruciale»

Toutefois, Barou Diop a rappelé que la conception civile protège la vie privée contre toute atteinte portant sur la vie affective et sentimentale (la vie sentimentale et sexuelle comme l’orientation sexuelle d’une personne, ses relations intimes, la vie conjugale exemple de la divulgation d’un projet de divorce, la maternité ou la paternité), l’intimité corporelle (état de santé), l’identité et l’identification de la personne (le domicile, l’adresse avec la divulgation illicite d’une adresse, la surveillance du domicile avec les systèmes de vidéo-surveillance), la religion et les opinions philosophiques. Mais, «avec le développement technologique, la question est devenue cruciale», regrette Barou Diop.

Si en France, le législateur n’a pas seulement introduit «le droit au respect de la vie privée» à l’article 9 du code civil, accordant expressément au juge de larges pouvoirs, plus efficaces, le Conseiller délégué à la Cour suprême souligne que «le juge sénégalais n’est pas, au demeurant, dépourvu de moyens pour décider de pareilles mesures. Au-delà du droit commun de la responsabilité civile fondée sur l’article 118 du COCC, il peut, sur la base des articles 248 et suivants du Code de procédure civile, réglementant la procédure de référé, prendre toutes mesures pour faire cesser toute atteinte à la vie privée.»

Ciré Aly Ba, Premier Président de la Cour Suprême pointe les limites du thème choisi : «la protection de la vie privée peut parfois subir un infléchissement du fait des nécessités induites par le droit à la preuve qui est un succédané des droits de la défense»

Cependant, dans son propos, le Président Macky Sall fait constater que «dans un monde marqué par l’explosion des technologies de l’information et de la communication et la frénésie des réseaux sociaux, la vie privée, fondement de l’intégrité physique et morale est, aujourd’hui plus que jamais, exposée et menacée dans son existence». D’ailleurs, de l’avis de Ciré Aly Ba, Premier président de la Cour Suprême, qui aborde les limites de la protection de la vie privée, dira qu’elle (la protection de la vie privée) peut parfois subir un infléchissement du fait des nécessités induites par le droit à la preuve qui est un succédané des droits de la défense.»

Le Proc général Mahamadou Mansour Mbaye : «La nécessité de publier les décisions de justice touche parfois au plus profond l’intimité des personnes»

En d’autres termes, le Procureur général Près la Cour suprême, Mahamadou Mansour Mbaye, dira qu’il arrive que la protection de la privée soit en concurrence avec d’autres impératifs. «C’est le cas, notamment de la nécessité de publier les décisions de justice qui pourtant, touche parfois au plus profond, l’intimité des personnes. La vie privée s’expose par ce biais, aux excès liés à la mise en œuvre du principe de libre accès à l’information lequel se traduit, à l’ère du numérique, par la prolifération de la diffusion, sur internet d’informations et de documents de toute nature. La mise à disposition gratuite des décisions de justice, encourt cet aléa», expose le Procureur général.

C’est pourquoi, il estime que «la diffusion de la jurisprudence au public, doit tendre au respect de cette réglementation», regrettant «que l’anonymisation des décisions de justice ne fasse pas encore l’objet d’une réglementation adéquate». «C’est une question urgente relative à la protection de la vie privée qui mérite une attention particulière», tranche Mahamadou Mansour Mbaye. Non sans révéler : «La Cour suprême qui a la responsabilité de la publication de ses décisions s’est engagée dans une réflexion en vue de trouver le meilleur moyen pour parvenir à élargir l’accès à la documentation judiciaire, mais elle peine à trouver la bonne formule avec les outils dont elle dispose».

Ces contraintes à la protection de la vie privée mais nécessaires pour la sécurité publique : infiltration, perquisition, écoute, surveillance policière…

Alors qu’on croyait que les magistrats avaient épuisé le sujet, notamment dans sa complexité, voilà que le premier Président de la Cour Suprême remet ça : « De nos jours, les limitations (à la protection de la vie privée) les plus draconiennes imposées à la vie privée s’expliquent par le souci d’assurer la sécurité publique et collective, face à l’émergence de nouvelles formes de criminalité et à la nécessité de les prévenir ou d’en rechercher les auteurs». A cet effet, Ciré Aly Ba rappellera que le nouvel article 677-26 du Code de procédure pénale issu de la loi n° 2016-30 du 08 novembre 2016 relative à la poursuite et au jugement des actes de terrorisme et autres actes assimilés, en offre une illustration. Ce n’est pas tout puisque d’autres contraintes liées à la protection de la vie privée, censée être l’affaire du juge, sont introduites par la récente loi n° 2021-34 du 21 juillet 2021 relative à la criminalité organisée.

Selon Ciré Aly Ba, «cette loi prévoit à l’article 677-67 nouveau que lorsque les nécessités de l’enquête ou de l’instruction concernant l’un des crimes ou délits énumérés à l’article 677-65 le justifient, le Procureur de la République ou, après avis de ce magistrat, le juge d’instruction saisi, peut autoriser qu’il soit procédé, sous leur contrôle respectif, à une opération d’infiltration chez le domicile du mis en cause».

Le vieux magistrat n’a pas manqué d’expliquer que l’infiltration consiste, pour un officier ou agent de police judiciaire, à surveiller des personnes suspectées de commettre un crime ou un délit en se faisant passer, auprès de ces personnes, comme un de leurs coauteurs, complices ou receleurs. L’autorisation donnée à cet effet est délivrée par écrit et doit être spécialement motivée. Mieux ou pire pour la protection de la vie privée, la loi prévoit en outre, si les nécessités de l’enquête l’exigent, aux articles 677-76 et 677-77, des perquisitions, visites domiciliaires et saisies, à toute heure du jour et de la nuit, tant pour les enquêtes de flagrance que pour les enquêtes préliminaires.

Ciré Aly Ba : «D’aucuns et parfois des sommités de ce monde y ont vu une atteinte à la vie privée et à la liberté de vivre sa vie»

Au titre des écoutes et surveillances, le Premier Président de la CS indique qu’il résulte des termes de l’article 677-84 que le juge d’instruction peut, après avis du Procureur de la République, autoriser les officiers et agents de police judiciaire à mettre en place un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation, la fixation, la transmission et l’enregistrement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé ou confidentiel, dans des lieux ou véhicules privés ou publics, ou de l’image d’une ou de plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé.

Encadrée cependant par la Loi, l’autre atteinte à la protection de la vie privée, c’est de punir au Sénégal tout individu poursuivi pour actes impudiques ou contre nature avec un individu du même sexe de un à cinq ans. Ciré Aly Ba constate d’ailleurs que « d’aucuns et parfois des sommités de ce monde y ont vu une atteinte à la vie privée et à la liberté de vivre sa vie.»

L’invite du président Macky Sall : «Je pense à nos propres valeurs de culture et de civilisation qui nous enseignent les vertus et lois de la vie en société : am jom, am jaanu biir, am ngor, am kersa ak teggin, saangg soutoureu»

Toutefois, il faut noter qu’en plus des lois, des institutions dédiées à cette protection de la vie privée ne manquent pas. Mais, de l’avis du chef de l’Etat, il y a certainement lieu d’interroger leur adéquation avec les réalités évolutives de notre temps. «En somme, il s’agit surtout d’adapter notre cadre juridique en corrigeant ses imperfections et en anticipant sur les besoins futurs, au moment où nous entrons de plain-pied dans l’ère de l’intelligence artificielle», dira Macky Sall. Non sans inviter aux uns et aux autres à s’enraciner dans nos valeurs ancestrales : «je pense à nos propres valeurs de culture et de civilisation qui nous enseignent les vertus et lois de la vie en société : ‘’am jom, am jaanu biir, am ngor, am kersa ak teggin, saangg soutoureu’’. Ce sont là des valeurs ancestrales connues de toutes les composantes socioculturelles de la nation sénégalaise, et qui constituent autant de barrières morales à ne pas franchir par respect pour la dignité humaine. C’est en pratiquant ces valeurs que nous revitalisons les fondements de notre vivre ensemble.»

Amadou Dia (Actusen.sn)             

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