Contribution

La libération Karim Wade ou la mal gouvernance institutionnalisée

La libération de Karim Wade n’est plus un sujet de spéculation persistante ; elle est désormais une réalité regrettable. L’annonce de la libération de celui que la justice sénégalaise a présenté, depuis 2012, comme le plus grand criminel financier du pays, est symptomatique d’une pratique inique qui continue de causer une mortelle hémorragie financière et porte un coup dur aux caisses de l’Etat. Nous assistons à l’apologie et à l’institutionnalisation de la mal-gouvernance. En graciant Karim Wade, qui est d’ailleurs un ancien frère de parti – même avec l’excuse que la constitution le lui autorise – Macky Sall valide le constat déjà patent que sa gestion ne rompt aucunement avec celle de son prédécesseur qui a transformé l’Etat en une puissante industrie de production de milliardaires qui, jusqu’à des périodes récentes, étaient comparables à des quémandeurs en quête de pitance.

Jusqu’en 2012, les patriotes sénégalais se lamentaient qu’il n’existe pas dans notre pays des mécanismes transparents et responsables d’accès aux deniers publics pour empêcher les élites politiques accapareuses de détourner les ressources de l’Etat sans reddition de comptes. Alors que tout le monde applaudissait le nouveau régime pour avoir pu mettre la main sur les grands voleurs de la République sous l’ancien régime, Macky Sall retourne sa veste – à la grande surprise des Sénégalais – en empêchant les mécanismes contraignants de justice de fonctionner en toute autonomie. En donnant la vedette aux modalités politiques de gestion des scandales politico-financiers, le régime de Macky Sall nous ramène dans le cercle vicieux de la récidive impunie. Il valide le constat qu’au Sénégal, lorsqu’un homme politique touche des milliards du contribuable, il devient un « intouchable ».

Tous les grands scandales politico-financiers au Sénégal depuis 2000 ont connu le même épilogue de l’impunité et de la récidive. Ils sont tous le fait d’hommes politiques qui viennent tous de la même école dite libérale. Ils ont fait de l’Etat une propriété privée et ont rendu étonnement routinières les pratiques mafieuses de pillage éhonté des ressources de ce pauvre pays depuis plus de dix ans. En 2000, alors que le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) venait d’arriver au pouvoir, il a juste suffi aux anciens résidus qui ont contribué à ruiner l’Etat sous le règne socialiste de transhumer vers les « prairies bleues » pour bénéficier immédiatement d’une immunité que leurs pratiques passées ne justifiaient nullement. Ce mauvais exemple, doublé du traitement du scandale politico-financier qui opposait le président Abdoulaye Wade à son ancien premier ministre Idrissa Seck entre 2004 et 2006, avaient fait douter les Sénégalais du caractère opératoire des principes de transparence et de bonne gouvernance qui sont le soubassement de l’Etat de droit et d’une société démocratique. Au moment où cette tension au sommet de l’Etat se manifestait- ce qui était communément appelé l’affaire des chantiers de Thiès était en cours- un autre scandale financier allait bientôt éclater. Il s’agit de l’affaire des « sept milliards de Taïwan » que le Sénégal aurait sollicités de Taïwan comme appui financier en vue de nouer des relations diplomatiques avec cet Etat, à la suite du renversement d’alliance observé au sujet de la Chine. Le deal qui se nouait depuis 2005 ne tardera pas à se révéler au grand jour. Mais le circuit emprunté par cette somme d’argent fut tellement tortueux  et nébuleux qu’a l’arrivée, la manne  fut présentée comme un « don personnel » d’amis du président Wade et qu’elle aurait été réinvestie dans les « secteurs sociaux » ! Les journaux avaient soulevé cette affaire des « milliards de Taïwan », mais il n’existe à ce jour aucune trace de ces fonds. Idrissa Seck et d’autres membres du PDS accusaient Macky Sall, à l’époque premier ministre, d’avoir soustrait ces 7 milliards. L’accusé lui-même est resté muet sur cette affaire qui, sans doute, pèse lourd sur sa conscience et risque de le rattraper après son mandat.

Comme par besoin de rédemption, Macky Sall a – depuis son arrivée au pouvoir en 2012 – cherché à placer son mandat sous le sceau d’une soi-disant « une gouvernance sobre et vertueuse ». Très vite, les Sénégalais découvrent que l’idée d’une telle gouvernance que le régime voulait leur faire avaler n’existe que sur papier et dans la bouche de ses initiateurs. Mais, dans réalité, c’est plutôt une « gouvernance opulente et intempérante » au profit du clan de politicards qui leur est servi au quotidien. On ne peut pas vouloir convaincre le peuple qu’on prône une gestion sobre et vertueuse et, au même moment, tendre la main aux anciens grands voleurs de la République en leur accordant l’impunité tout simplement parce qu’ils ont accepté d’être peints “en marron beige” (aux couleurs du parti au pouvoir).

L’affaire Karim Wade et sa libération s’inscrivent dans cette culture d’impunité qui ne doit pas seulement indigner les Sénégalais ; il doit les révolter. Le scandale qui entoure l’affaire Karim Wade rappelle fortement celui des chantiers de Thiès et celui de l’affaire des « milliards de Taïwan ». Ils sont tous l’expression d’une récidive qui résulte de l’impunité consécutive au traitement réservé aux scandales du même genre : l’affaire de l’avion présidentiel, l’affaire Segura, ou encore l’affaire des 20 Milliards de Sudatel, etc. Tous les milliers de milliards – qui auraient pu servir à créer des milliers d’emplois pour les jeunes dont beaucoup croupissent en prison pour avoir volé de quoi manger – sont dérobés et empochés par des prédateurs politiques habitués aux pratiques dignes d’une  mafia d’Etat.

Voilà que, après quatre ans, l’affaire Karim Wade se termine par une farce incompréhensible. Les dépenses exorbitantes effectuées dans le cadre de cette traque sont nulles. Les nombreuses commissions rogatoires internationales budgétivores n’auront servi à rien. Les honoraires des experts de la CREI sont de l’argent gaspillé qui n’aura pas permis de venir à bout de la délinquance financière. La condamnation de Karim Wade à six ans d’emprisonnement ferme pour enrichissement illicite est finalement un ridicule bluff. La parole donnée du candidat Macky Wade s’effondre encore une fois. La prétendue « traque des biens mal acquis » annoncée en grande pompe en 2012 est enterrée comme un encombrant dossier pour le clan au pouvoir. Le cercle vicieux des récidives impunies va continuer de plus belle. Les Sénégalais doivent se lever pour casser la mal gouvernance !

Mamadou Bodian, Secrétaire général adjoint de la Jeunesse pour la Démocratie et le Socialisme (JDS), Assistant de recherche en Sciences politiques à l’Université de Floride (USA)

 

 

 

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