La question des «fonds politiques» alloués au Président de la République fait partie des sujets que les régimes qui se sont succédés à la tête du pays ont savamment réussi à rendre tabou. Mais, le retour au-devant de l’actualité de l’affaire dite du «protocole de Rebeuss» avec ses multiples implications aux doubles plans économique et éthique est, à notre avis, une opportunité à saisir pour enfin briser l’omerta sur cette question.
En effet, s’il subsiste encore des zones d’ombre sur le contenu du «protocole de Rebeuss», il semble désormais clairement établi que les dizaines de milliards, objet du contentieux politico-financier opposant Me WADE à son directeur de cabinet de l’époque, Idrissa Seck, proviennent de ces fonds appelés, selon les pays, «fonds secrets», «caisse noire» ou «fonds politiques». Il s’y ajoute que des dignitaires du régime sortant, mis en accusation par la CREI, n’ont eu aucun scrupule à justifier leur fortune par les largesses de Wade, un président dont la «générosité légendaire» aurait conduit à puiser sans ménagement dans ses «fonds politiques» pour fabriquer, en l’espace de deux mandats, des milliardaires sortis de nulle part, et qui n’ont eu point besoin de trop suer.
De ce qui précède, il s’avère que l’utilisation des « fonds politiques » du Chef de l’Etat est totalement dévoyée au Sénégal. Car, même si ces fonds échappent aux règles du droit commun de la comptabilité publique, et ceci pour «raison d’Etat», il n’en demeure pas moins que les crédits qui l’alimentent ne tombent pas du ciel. Il s’agit bien de l’argent du contribuable. Pour cette raison, l’utilisation des «fonds politiques» doit être encadrée et leur gestion contrôlée, de manière à s’assurer qu’ils servent bien la collectivité nationale, au lieu d’être considérés comme une vache à lait, au profit d’un cercle restreint de rentiers dont le seul mérite est de s’être installés dans les allées du pouvoir.
En vérité, l’exigence de transparence dans la gestion des ressources publiques s’accommode mal de l’opacité qui continue d’entourer la gestion de la «caisse noire» du président de la république, des fonds dont l’usage est laissé à la discrétion d’une seule personne –le chef de l’Etat- et qui, depuis 2000, s’élèvent à des milliards de francs. A défaut de les supprimer, notre conviction est que ces fonds doivent faire l’objet d’un encadrement strict et d’un contrôle rigoureux, pour prévenir des dérives dans leur utilisation. A ce titre, l’exemple de la France est un cas d’école.
Lorsqu’ en 2001, la presse française a révélé que des reliquats provenant des «fonds secrets» ont servi à financer les voyages privés du Président Chirac et sa famille, cela a suscité l’indignation de l’opinion publique française, conduisant ainsi à une réforme du système. Depuis lors, non seulement les «fonds secrets» sont exclusivement destinés au financement d’actions liées à la «sécurité intérieure et extérieure de l’Etat» français, mais encore, ils sont soumis au contrôle d’un organe composé de députés et sénateurs, désignés de manière à assurer une représentation pluraliste.
Une réforme visant un contrôle parlementaire des «fonds politiques» alloués au président de la république est bien possible au Sénégal. Elle est même un impératif, si nous voulons préserver nos ressources contre la volonté accapareuse, voire prédatrice de nos élites politiques. Cela demande simplement du courage politique. Ce qui, malheureusement, fait cruellement défaut à l’actuel chef de l’Etat.
La vérité est que chez Macky Sall, toute réforme obéit à une logique de conservation du pouvoir. Or, dans un pays où les vertus de l’argent ne sont plus à démontrer, en particulier sur le terrain politique, des fonds aussi importants et soumis à aucun contrôle peuvent bien servir dans la quête obsessionnelle d’un second mandat.
Ils peuvent attirer des transhumants au goût prononcé pour l’argent facile. Le président de la république, en même temps chef de l’APR, peut aussi bien l’utiliser pour massifier son parti et parachever son implantation.
Les «fonds politiques» peuvent, en effet, servir à la confection de T-shirts et de banderoles, à l’achat de tissus pour accueillir le président de la république à l’occasion de la tenue des conseils de ministres délocalisés, mais aussi à payer les loyers des sièges du parti. Ces fonds sont aussi précieux, car offrant au chef de l’Etat la possibilité de maintenir durablement dans son giron des alliés politiques.
Nous avons encore en mémoire la sortie ahurissante de Souleymane Ndéné Ndiaye, dernier premier ministre sous le régime de Wade, faisant état d’enveloppes que percevaient, mensuellement, des partis politiques, en guise d’honoraire pour leur compagnonnage avec le PDS, des sommes d’argent qui, précise t-il, provenaient des fonds politiques logés à la présidence de la république.
Qui peut nous convaincre qu’une telle pratique a disparu sous le régime actuel ? En quoi ce qui était valable hier avec la CAP 21 ne l’est-il pas aujourd’hui avec Benno Bokk Yaakaaar ? Quelle rupture d’égalité entre les citoyens devant l’accès aux ressources publiques !
En définitive, les conditions politiques qui ont permis à des dignitaires du régime sortant de se donner des libéralités sur les fonds publics, au point d’avoir maille à partir avec la justice, sont maintenues en l’état depuis l’avènement du nouveau régime.
Le souci de gestion saine des ressources publiques est incompatible avec l’existence de fonds qui s’évaluent à des milliards de francs et qui échappent à tout contrôle. La volonté clamée du président Macky Sall est de combattre l’enrichissement illicite.
Mais, l’institution de la CREI et de l’OFNAC ne suffit pas. Ses «fonds politiques» dont la gestion échappe jusque là au champ des ruptures, constitue aussi une source d’enrichissement illicite. Il faut la tarir. Sinon, Rebeuss abritera la ratification d’autres protocoles. Des personnalités du régime actuel défileront, dès la prochaine alternance, et à coup sûr, devant la CREI.
Serigne Assane KANE
Membre de la Jeunesse pour la Démocratie et Le Socialisme (JDS)
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