Contribution

Les Chapitres XI à XIV du Protocole de l’Elysée de TAS (suite)

(Privatisation du Sénégal, Omniprésence et omnipotence de la Première dame, des partis de gauche qui deviennent le paillasson pour les pieds du président, Premier ministre laudateur du Président, Mensonges d’État sur l’embellie de la SENELEC, avantages dissimulés pour des raisons politiques du plan TAKKAL)

A la lecture de ces quatre chapitres, la seule conclusion à en tirer est que la misère présentement vécue par les populations n’a rien d’une fatalité : c’est la conséquence d’une conjonction de mauvaises pratiques politiques et d’une culture de l’impunité. Tout porte à croire que nos élites ont créé de leurs propres mains la situation de précarité et de dépendance dans laquelle se trouve notre peuple.

 

 Le Sénégal privatisé avec des actionnaires sans « actions » réelles

Le chapitre XI, provocateur à souhait, résume la gravité du mal : Sénégal. S. A. Cette formule sarcastique peint la situation décadente d’un pays où élites, hommes d’affaires véreux, jeunes et vieux opportunistes profitent éhontément de Présidents qui confondent bien public et propriété privée. Le mal de la démocratie sénégalaise, c’est également une dégénérescence de la citoyenneté : notre rapport à l’État est trop intéressé pour nous permettre d’exiger de sa part le respect des règles de la bonne gouvernance.

Le texte s’ouvre sur les divergences de vues entre TAS et Macky, divergences devenues manifestes quelques six mois passés au MIT. L’épilogue de ces divergences sera évidemment le départ de TAS du gouvernement. Un fait très caractéristique de la gouvernance Macky, les collaborateurs dont le Président veut se débarrasser sont d’abord diabolisés dans la presse alliée du régime « les visiteurs du soir ». Nouvel Horizon, annonça le départ de TAS le 5 Juillet 2013 en des termes qui montrent clairement que l’information avait été donnée en haut-lieu pour préparer les esprits : « Macky ne serait pas satisfait des lenteurs observées dans le bâtiment et les travaux publics (sic), considérés comme des leviers de croissance… et serait à la recherche « d’un cadre expérimenté et outillé capable de régler ce problème ». pp.230-231. Quand Macky Sall veut noyer son « contradicteur » il le convie à l’univers marécageux de la presse de service.

Ce chapitre qui expose la saga des entreprises de rente comme Daport SA, ADS, AIBD SA (pp.243 à 253) montre comment on crée dans ce pays des entreprises (parfois fantômes) pour capter une manne financière qui devrait aller à des privés sénégalais.

Le chapitre XII « Chronique d’un limogeage » aurait pu être sous-titré « l’art de faire du Wade sans Wade avec plus de sauvagerie et de cruauté ». Le mot « urgence » devient la clé magique qui ouvre la caverne d’Ali Baba : toutes les exactions trouvent leur légitimation par l’alibi de l’urgence. L’auteur y revient sur la loufoque trouvaille des visas d’entrée dont l’impact sur l’économie (transport aérien, tourisme, etc.) continue encore de se faire ressentir. Le scandale ayant pour nom propre « Adama Bictogo » la renégociation défavorable du contrat d’Eiffage (pourtant naguère décrié par le candidat Macky Sall), l’abandon du projet de chemins de fer du Sénégal au profit du TER, l’absence d’une expertise locale pour bien représenter les intérêts du Sénégal dans ses négociations avec les multinationales, etc., bref les handicaps à la fois éthiques et intellectuels de notre pays sont exposés dans ce chapitre.

Une Première Dame au cœur de la république, un PM laudateur du PR

Le chapitre XIII « Ministère de l’énergie, retour sous haute tension » s’ouvre sur les prétextes politiques avancés alors pour justifier l’éviction de l’ex-ministre des infrastructures. Ce chapitre nous édifie davantage sur la conception médiocre qu’a Macky de l’État : comment-on assujettir le maintien ou non d’un serviteur de l’État à ses performances électorales ? L’imposteur avait pourtant réussi à envoûter plus d’un sur son fameux « la patrie avant le parti » ! On comprend à la lecture de ce chapitre pourquoi Macky a supprimé le poste de Premier ministre : apparemment la Première dame est plus utile que ce Premier ministre spécialisé dans la courtisanerie grandiloquente : Macky « meilleur ministre de l’énergie de l’histoire du Sénégal », « meilleur Premier ministre ».

Le plus infamant pour un républicain dans l’histoire des relations entre TAS et Macky se trouve à la page 283 : Macky se plaignit auprès de la famille de son ministre sur ses « refus répétés d’obéir à ses instructions » ! Plus intriguant encore : Macky s’investît personnellement pour la victoire électorale dans les localités où les membres de sa famille et ses amis étaient candidats. Toujours la famille, encore la famille, partout la famille : la famille est devenue l’horizon indépassable de la politique chez Macky Sall. L’épisode Chiekh Bamba Dieye-Mansour Faye (p.282) illustre l’omniprésence et l’omnipotence de la famille de Macky dans le jeu politique.

Toujours dans ce registre, la Première dame est officieusement presque la vice-présidente du Sénégal : « Le président m’avait reçu peu avant l’annonce de mon départ, le dimanche 22 Juin 2014. La Première dame avait arrangé cette rencontre dans les locaux de sa Fondation servir le Sénégal. Cette entrevue eut pour seul effet de confirmer un départ programmé de longue date, près d’un an après l’annonce par l’hebdomadaire Nouvel Horizon. Je ne pus m’empêcher de montrer au Président que j’étais informé du nom de mon successeur. Il me dit me réserver un poste de ministre conseiller qui me permettrait de conserver les avantages financiers liés aux fonctions de ministre. Je déclinai son offre poliment, je lui annonçais ma décision de reprendre mon Travail à l’ASECNA » pp.285-286. Avantages financiers : tout chez Macky est question de prix ! Ceux qui veulent comprendre l’histoire de l’embellie de la SENELEC à partir de 2013 et ses difficultés actuelles peuvent consulter les pages 302 à 309.

Un lampadaire à 1.140.000 FCFA : lumière aurifère ou arnaque ?

Le chapitre XIV est crucial pour la compréhension de la gestion politicienne, affairiste et amateuriste de l’État par Macky Sall. Le Président y est décrit comme une usine à sauver des entreprises françaises en faillite ou en difficulté. A la page 315, TAS nous en donne la preuve en revisitant l’histoire du contrat sur les lampadaires solaires contre lequel il s’était opposé et qui a été signé dès son départ à l’occasion de la visite de Macron en février 2018 : « Il fut annoncé en ces circonstances que le marché des lampadaires avait été adjugé à l’entreprise française Fonroche dont les responsables m’avaient rendu visite au ministère, accompagné de l’ambassadeur de leur pays, pour me convaincre de la pertinence de leurs offres. Fonroche est passée d’un capital de 6 millions d’euros à 87 millions d’euros en quelques traits de plume nécessaires à la signature de la Convention et a gagné ainsi ‘‘le plus grand marché d’éclairage public solaire dans le monde’’. Le marché portait sur 50.000 candélabres solaires pour une enveloppe totale de cinquante-sept (57) milliards de FCFA, ce qui fait cher le lampadaire : un millions cent quarante mille (1.140.000) FCFA, y compris le coût de la maintenance sur 5 ans. Un petit gain pour le commerce extérieur et l’emploi en France, des pertes considérables pour le Sénégal dont les hôpitaux manquent d’appareils de radiothérapie … » pp.314-315. Là également l’alibi de l’urgence permet de court-circuiter la loi, d’abuser des offres spontanées et de construire ainsi une niche de corruption dont les bénéficiaires sont toujours proches du système. La signature de cette convention est doublement scandaleuse : au-delà des coûts, elle met en exergue une absence de vision globale, un tâtonnement dont les conséquences sont de transformer le PSE en plan Sénégal endettement.

Avantages et résultats du Plan Takkal, Business du solaire sous Macky, rendements politiques versus rendements économiques.

Le ministre explique qu’à son arrivée au ministère de l’énergie, la situation de la Senelec, quoique précaire, s’était considérablement améliorée depuis les émeutes de 2011. Les falsificateurs de l’histoire mettent tous ces bons points sous le compte de Macky alors que le Plan TAKKAL avait comme entre autres avantages, « la sécurisation de l’approvisionnement en combustible à travers le fonds de soutien à l’électricité. Sans cet instrument, il est probable que la Senelec aurait connu des moments difficiles durant la flambée des prix des produits pétroliers dans la période 2012-203 ». Malheureusement comme toujours avec Macky, l’amateurisme, la politique politicienne et l’absence de vision globale inclinèrent le gouvernement vers des choix périlleux. Comme Narcisse flatté par sa beauté et qui pousse des racines à force de contempler le reflet de son image dans l’eau, Macky n’a pas eu une lecture correcte du contexte. Il n’a pas compris qu’il est arrivé au moment où le plan de Wade commençait à produire ses effets. Il tomba sous le charme de projets sur le solaire proposés par des promoteurs dont le seul mérite est d’être proches du régime, car ils n’avaient « ni la compétence ni les ressources financières pour réaliser, même associés à d’autres de tels projets. Cependant ils possédaient cet avantage crucial au Sénégal : des entrées au Palais. Ainsi un ancien ministre de Wade, rallié à Macky, s’était récemment reconverti dans le business du solaire » p.319. Ainsi marche le Sénégal sous Macky : quand on veut enrichir un proche on crée un besoin pour le pays et on lui arrange le marché. Ces promoteurs qui, selon TAS ne sont rien d’autres que des courtiers de projets ou des rabatteurs, sont les causes des coûts élevés et les retards enregistrés dans la mise en œuvre des projets : une fois le contrat signé, ils vendent « tout ou partie du contrat ». Ça se passe au Sénégal ! La hausse des prix de l’électricité en 2019 résulte des conséquences lointaines du tâtonnement et des mauvais choix du gouvernement sur les partenaires et les projets. « Il est illustratif du tâtonnement érigé en boussole, par lequel le capitaine et son second guident le navire Sunugal à travers charybde et scylla que, pendant que le premier vantait les mérites de Scaling Solar, l’autre envisageait l’acquisition d’unités de production au gaz sur barges pour 400 MW. Pourfendeurs du plan Takkal qui offrait l’avantage incontestable de proposer une démarche d’ensemble, issue d’un diagnostic exhaustif, ils prêtaient l’oreille à des visiteurs aux avis fortement intéressés ». pp.328-329

Ce qui est insupportable sur la question de la Senelec c’est la facilité effarante avec laquelle on noue des contrats à l’insu des experts, et la manie de casser ou d’abandonner sans raisons des contrats que le régime précédent avait signés. Et lorsqu’il s’agit de réceptionner des réalisations, on ne se gêne pas de les revendiquer. En effet, la baisse des prix du cours mondial du pétrole que le régime de Macky n’a jamais répercutée sur le prix à la pompe a considérablement nanti le Fonds de soutien à l’électricité. Cette aubaine qui aurait dû servir à améliorer la qualité du service de la Senelec a plutôt été dilapidée dans des projets dont l’objectif sournois est, encore une fois, la mégalomanie du Président qui dit préférer les grands projets à ceux qui auraient pu créer une chaine de valeurs car impactant sur les PME et les PMI. Mais ce serait trop demander à un Président qui cherche toujours deux choses dans ses projets : son prestige et des bénéfices induits au profit de son clan.

En guise de conclusion partielle je vous laisse savourer ce passage : « Les faits l’attestent : Macky Sall ne croit pas à la vertu du travail de fourmi, d’un Sénégal à l’image d’une ruche où les efforts persévérants d’une multitude organisée permettent à la longue de produire du nectar. Sa philosophie, plutôt son instinct, le pousse à se poser en démiurge qui, du fait de sa seule volonté, crée des œuvres colossales pour ses sujets dont il tient peu compte des besoins prioritaires ». pp.336-337

(à suivre)

Alassane K. KITANE

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