L’efficacité du management des risques d’ordre socioculturel et communicationnel dépend largement de la fiabilité et de la qualité de l’échange d’information et des relations de confiance entre les parties en communication. Il est donc essentiel pour la conduite, voire pour la réussite des grands projets, de procéder à une analyse approfondie afin de détecter les facteurs de risques.
L’émergence de nouveaux projets stratégiques pour le développement du Sénégal doit inciter les pouvoirs publics à marquer plus d’intérêts sur la gestion des risques communicationnels et répondre aux questionnements et attentes de la société à travers un management participatif et inclusif.
Pour une intégration effective de la dimension socioculturelle et communicationnelle.
Les dirigeants manifestent beaucoup de satisfaction en ce qu’ils ont eu l’opportunité d’avoir pu proposer au peuple la vision d’un Sénégal émergent à l’horizon 2035 : un référentiel du développement socioéconomique du pays au moment où des découvertes de gisements de gaz, de pétrole et d’autres minerais importants s’enchaiînent, portant ainsi un espoir pour le peuple qui entrevoit des richesses, et à terme, une amélioration des conditions de vie. L’ambition de faire du Sénégal un hub minier, tel que décrit dans le Plan Sénégal Emergent (PSE), semble pouvoir ainsi se matérialiser au fil des découvertes et de la mise en place de projets y afférents.
« Nous serons riches » pense le peuple qui s’approprie tout naturellement les futurs bénéfices qui pourraient résulter de l’exploitation de ces minerais. Un peuple renforcé dans ses attentes par les déclarations de la plus haute autorité qui dit: « les découvertes pétrolières devraient nous permettre d’atteindre l’émergence avant 2035 ».
Cette perception légitime des populations, constituerait l’un des risques majeurs d’échec des projets mis en place par les pouvoirs publics s’ils venaient à perdre de vue l’importance de la contribution de la communication et de la dimension socioculturelle imperceptibles jusque-là dans le management proposé par le PSE.
Il est dès lors important de prendre en considération les facteurs d’échecs connus sur le continent et en évitant les erreurs enregistrées dans des projets similaires sur le territoire national. En d’autres termes, il s’agit d’aller vers un management innovant des projets.
Celui-ci impose une claire compréhension des enjeux communicationnels et des systèmes sociaux qui sont eux-mêmes liés au moyen de la communication selon la théorie Luhmannienne, pour réaliser un succès véritable que nous pourrions ressentir de façon individuelle et collective.
Ce fonctionnalisme prêté aux projets appelle de notre part une attention particulière qui n’est pas loin du sens de l’alerte au danger tel qu’on pourrait l’imaginer au sens psychologique du terme.
La maîtrise de la communication et la prise en charge de la dimension socioculturelle sont deux facteurs de succès qui anticipent sur le conflit relationnel entre les différentes parties prenantes. Ces aspects doivent être intégrés dès les études de préfaisabilité et de faisabilité et entretenus durant toute la vie des projets et programmes.
Dans ce contexte de globalisation croissante avec un environnement économique et financier de plus en plus concurrentiel, incertain et turbulent, qui rend les projets complexes aussi bien en termes de conception que dans leur réalisation. Il devient ainsi à la fois nécessaire et indispensable pour les Etats africains, de s’orienter vers des mécanismes, des méthodes et des outils de management des risques efficaces et adaptés pour mieux garantir la rentabilité et l’impact attendus des projets et programmes.
Ainsi la nécessité de mieux maîtriser les coûts, les délais et la qualité des grands projets et programmes entrepris dans le domaine de l’exploration pétrolière et gazière et autres minerais voire de concessions, sous quelque application et dans quelque industrie que ce soit, est devenue incontournable.
Cependant la non prise en compte de la dimension socioculturelle et de l’aspect communicationnel peut avoir un fort impact sur la durée des projets et programmes, sur la rentabilité des fonds propres investis et la pertinence des «cash flows» qui sont primordiales s’agissant de la viabilité du montage financier lié à ces types de projets.
Du risque culturel et communicationnel lié à l’environnement social.
Le risque lié au culturel et à la communication est à prendre très au sérieux. Nombre de projets ont été lourdement impactés du seul fait que les décideurs ont simplement ignoré certaines règles liées à la culture et à la communication. C’est le cas des projets d’exploitation aurifère dans la région de Kédougou et celui des projets d’exploitation de pétrole au Nigéria qui ont conduit à mort d’hommes.
C’est le lieu de reconsidérer l’un des outils de communication utilisé, au travers des plans de gestion environnementale et sociale, en l’occurrence l’audience publique et ou de la consultation des populations. Cette modalité de consultation prévue dans le Code de l’Environnement (2001), doit être organisée et mise en œuvre au plus tard quinze (15) jours après la validation technique du rapport d’étude d’impact environnemental.
Elle a pour objet de recueillir les préoccupations des populations sur les impacts potentiels ou réels , directs ou indirects du projet, ressortis par l’étude d’impact environnemental et social réalisée par un Bureau d’études ou un Consultant individuel agréé. Cette forme de communication est importante pour la durabilité de tout projet tant qu’elle est bien faite. Mais l’expérience montre qu’elle a des limites dues à une absence de maitrise des systèmes sociaux par les privés chargés de la mettre en œuvre.
En outre, l’enquête publique qui est du ressort propre des pouvoirs publics, contribue-t-elle, à une meilleure prise en charge des biais d’attente des populations; sauf que cet outil a également des limites observables selon la taille des projets. Pour le cas des projets d’envergure nationale tels que ceux en vue avec les nouveaux gisements de gaz et de pétrole, il est clair qu’il faudra trouver des outils plus performants de collecte et de transmission de l’information pour une fonctionnalité correcte de la communication afin de satisfaire les besoins de toutes les parties prenantes.
La dimension nationale appelle de la part des autorités en charge de ces projets d’aller vers la transformation de ces entités en « projets démocratiques viables » qui passent par une transparence dans la gestion actée par la disponibilité de l’information auprès des acteurs et autres citoyens qui se positionnent comme des ayants droit.
Autrement dit, l’Etat doit veiller à mettre en place les infrastructures nécessaires de transmission de l’information au public et travailler à une appropriation saine de ces projets par ce dernier, pour éviter le spectre noir des pays africains (l’éclatement du Soudan en deux et le conflit de Bakassy entre le Nigéria et le Cameroun) qui ont devancé le Sénégal sur le terrain de l’exploitation minière. En ce sens, les organisations de la société civile peuvent jouer un rôle important, à la fois, comme relais et comme sentinelles.
La nature de ces projets qui sont souvent de type top down rend difficile leur acceptation par les acteurs à la base si des études socioculturelles approfondies, précédées et accompagnées d’une communication multiformes et diversifiées ne sont pas rigoureusement faites et leurs recommandations mises en œuvre tenant compte des variantes culturelles et cultuelles.
En faisant une analyse du contexte africain qui a ses particularités, il ressort qu’il est indispensable de prendre en considération avant d’entreprendre les projets, la spécificité des régimes politiques et des économies, ainsi que la réalité des problèmes socioculturels en étudiant leurs interactions et leurs conséquences. Dès lors, il est facile de comprendre aujourd’hui l’anxiété des pouvoirs en place, vis-à-vis de l’irruption sur les territoires africains de logiques déterritorialisées portées par la finance, l’économie et les réseaux de télécommunication et d’information. Cette forme d’irruption est souvent très mal acceptée et tolérée par les populations locales. Ces changements ont induit des effets non négligeables en termes de culture et de communication et ont instauré des comportements et une relation de méfiance vis-à-vis des investisseurs.
Du risque social et communicationnel lié à la distance culturelle
La réalisation d’un projet nécessite l’intervention de plusieurs acteurs, d’origines, de cultures, de métiers, de fonctions, de directions ou d’entreprises différentes, et qui dans la plupart des cas ne se connaissent pas, n’ont jamais eu l’occasion de travailler ensemble auparavant, qui œuvrent pour des objectifs différents, voire opposables. Aussi, il est fréquent d’observer une méfiance à transmettre convenablement et rapidement les informations détenues aux différentes parties prenantes. Cela pose, pour ainsi dire, le problème de la gestion de l’information, de la communication dans un contexte de multi culturalité.
Cette situation s’explique par une crainte des jugements, par la peur que des personnes profitent de la situation et par le caractère confidentiel de certaines informations. De nouveaux interlocuteurs apparaissent, qu’il convient d’apprendre à connaître et dont il faut comprendre les habitudes de travail, les exigences et les canaux d’information qui répondront à leurs besoins.
Vers un management participatif:
Un dialogue continu et soutenu tout au long d’un projet peut aider à apprendre du projet, construire sa mémoire et éviter de répéter les erreurs dans le futur. Utiliser des approches participatives impliquera souvent la création d’un dispositif offrant la possibilité d’introduire une large palette d’acteurs locaux. Le besoin d’une participation large et représentative doit par conséquent trouver un équilibre avec les contraintes pratiques liées au travail en groupe.
Promouvoir une compréhension mutuelle entre les acteurs d’un projet implique une reconnaissance de formes existantes d’organisation sociale et de communication, et exige de fournir aux parties prenantes l’information sur les différentes composantes et activités du projet. La participation consiste par-dessus tout à promouvoir une égale considération aux acteurs et populations impliquées dans les projets et à prendre en compte leurs intérêts et leurs préoccupations. Il s’agit dès lors de reconnaître le droit à l’expression à toutes les parties prenantes sur les projets qui ont un impact sur leur vie, de valoriser leurs compétences, leurs idées et potentialités diverses.
L’exigence d’aller vers un management inclusif.
En somme, la planification et la mise en œuvre des grands projets structurants requièrent une association en amont des populations, une écoute soutenue, une prise en compte des différents points de vue et une implication active de tous les acteurs. Le recours à des solutions toutes faites qui ne prennent pas en compte le dialogue, la dimension socioculturelle et les valeurs traditionnelles, pourrait mener à des échecs, des blocages.
Un management inclusif qui résulte d’une véritable ‘culture de projet’ et qui s’appuie sur la prise en compte des besoins et attentes des populations concernées est un facteur d’union et de consensus qui fédère les différentes parties engagées dans les projets. Ainsi, ce management de projets innovants qui est un processus impliquant le consensus, l’engagement et la volonté de tous d’œuvrer à la réussite des projets à travers une stratégie de maîtrise des coûts, des délais et de la qualité, tout en respectant les exigences de rentabilité des actionnaires et les attentes croissantes des populations est tout à fait compatible au contexte africain.
Cette démarche permettant l’association des bénéficiaires dans les prises de décisions, les mènera à une meilleure prise en charge des responsabilités induites, à une implication effective et une participation plus active. Cette approche aura pour résultante l’atténuation ou l’évitement des risques de conflit, de blocage, de négligence voire de sabotage, pouvant être liés à la conduite de certains projets. Elle conduit naturellement à l’empathie et au succès.
Pour une intégration effective de la dimension socioculturelle et communicationnelle, il semble nécessaire d’établir les conditions d’acceptabilité sociale liées au respect des particularités locales et différences culturelles, la réduction des impacts environnementaux, le tout soutenu par un système communicationnel harmonisé et ciblé pour tous les acteurs parties prenantes. La distance culturelle demeure certes une réalité psychologique et sociologique, mais peut être réduite par la combinaison d’un management participatif et inclusif, en harmonie avec un système de communication adapté à la réalité locale en évolution.