Le rappeur sénégalais Didier Awadi est connu pour ses textes engagés et panafricanistes. Mais sa réflexion politique n’aurait sans doute pas connu la même évolution sans une rencontre déterminante: celle avec l’écrivaine militante malienne Aminata Traoré à qui il rend hommage.
C’est dans son studio, le studio Sankara, que Didier Awadi reçoit. En dessous vit sa maman, Marie Alice Sylva Evora. Bien évidemment, lorsqu’on a demandé au rappeur d’évoquer une femme qui marque sa vie, il a pensé à elle. Partout dans ses locaux, Awadi a accroché des portraits des militants et activistes du panafricanisme : Sankara, Lumumba, Cabral pour ne citer que ceux-là. La discussion s’engage sur ce terrain et un nom revient sans cesse, celui d’Aminata Dramane Traoré, la seconde maman du chanteur, sa maman « politique ».
« Aminata est généreuse, très généreuse », attaque Didier Awadi. « Elle n’a pas l’âge du hip-hop, mais elle a la curiosité, l’humilité. Et elle sait tendre la perche à des jeunes parce qu’elle croit en leurs idées ». Cette perche, l’écrivaine militante l’a justement tendue il y a plus de 20 ans au rappeur qui était alors au début de sa carrière, au début de sa découverte du panafricanisme : « Quand on me parle d’une femme activiste qui m’inspire chaque jour, je pense donc à Aminata Dramane Traoré ».
La rencontre
« On s’est rencontré à Bamako, en 1997. Aminata était alors ministre de la Culture », raconte Awadi. « Avec notre groupe, le Positive Black Soul, on a joué dans un festival, elle a demandé à nous rencontrer avec Duggy Tee ». Le rendez-vous est calé dans le restaurant d’Aminata Dramane Traoré. « On arrive, on se salue, il se passe quelque chose. Je vois cette dame très grande, élégante, dans sa tenue africaine. J’ai été impressionné, bluffé par le personnage ».
Didier Awadi et Aminata Dramane Traoré ne sont pas de la même génération, mais ils découvrent que leurs philosophies, leurs idéaux sont proches, la connexion est donc évidente, immédiate. Ce premier jour, la discussion s’engage ainsi sur le militantisme. Didier Awadi explique : « Habituellement, quand on veut nous voir, c’est pour nous tirer les oreilles. Aminata avait entendu notre chanson qui dit « l’Afrique n’est pas démunie mais seulement désunie ». Elle demande qui a écrit ce texte. On répond presque timidement que c’est nous. Elle nous dit qu’elle aime beaucoup. Je pense qu’elle se retrouvait dans cette chanson, on avait mis des mots sur son combat. Et c’est comme ça que tout a démarré ».
Adopté
Si parfois le temps casse les liens, entre l’écrivaine et le rappeur, au contraire, les années n’ont fait que renforcer leur relation. « Depuis ce jour, elle m’a adopté, je l’ai adopté », explique le rappeur. « C’est une intellectuelle très rigoureuse, Sankara disait qu’il faut une formation politique et idéologique. Aminata a accéléré ma formation politique et idéologique, car elle est rigoureuse autant dans sa démarche littéraire, scientifique et économique ».
Cette formation sur le tas se concrétise dans des actes concrets. « C’est chez elle que j’ai préparé mon album « Un autre monde est possible », notamment le morceau « J’accuse » travaillé dans sa cour avec Toumani Diabaté à la kora ». Pour affiner ses textes, Awadi s’appuie sur les causeries avec l’écrivaine, mais aussi sur ses livres. « Je me suis beaucoup inspiré de ses écrits. Si tu cherches de l’inspiration, il faut lire « Le viol de l’imaginaire ». « L’étau » aussi m’a beaucoup inspiré, qui parle de la dette des pays du tiers-monde ».
«Elle ne fuit pas son rôle»
Ces échanges permanents entre Bamako et Dakar poussent la militante à aller plus loin, à emmener Didier Awadi à la rencontre d’activistes, de chercheurs partout dans le monde. « C’est une personnalité qui n’arrête pas de chercher. Elle est en perpétuel questionnement, quitte à avoir des positions impopulaires, mais elle prend ce risque car c’est son rôle d’intellectuelle. Elle ne fuit pas son rôle ». Awadi se retrouve ainsi embarqué en Amérique du Sud. « C’est elle qui m’a emmené au premier forum social mondial à Porto Alegre puis à d’autres en Afrique. Elle m’a fait rencontrer des intellectuels, des économistes, des gens qui réfléchissent ». Dans le pas d’Aminata Traoré, le rappeur peut ainsi plonger dans des sujets qui l’intéressent. « C’est là que j’ai compris ce qui se passait avec les accords de partenariat économique. C’est en 2005 que je rencontre par exemple Nicolas Agbohou et d’autres intellectuels africains qui nous expliquent quels sont les vrais enjeux sur le franc CFA ».
Seconde maman
Didier Awadi a toujours maintenu les échanges. « Aminata lit mes textes, je lis les siens. Elle continue de m’accompagner et notre relation va plus loin ». Cette nouvelle étape, familiale cette fois, s’est déroulée le jour où Aminata a rencontré la mère du musicien. « Elle est venue à Dakar, elle a tenu à voir ma mère. Elle lui a dit « Madame, Didier n’est pas votre fils à vous tout seul, c’est mon fils aussi ». Ma maman avait beaucoup entendu parler d’elle, elle lui a dit « franchement je suis d’accord avec vous ». Maintenant officiellement je peux le dire, j’ai deux mamans ».
Militantisme et affection sont donc liés dans cette rencontre. « Aminata est humaine, elle n’est pas un prophète. Et on a besoin de femmes de cette trempe en Afrique. Quand les femmes assurent le leadership, les hommes suivent facilement. On a tellement essayé avec les hommes, ça n’a pas vraiment marché, il est temps que l’on fasse plus confiance aux femmes ».
Rfi.fr