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Faux, le taux de dépigmentation au Sénégal n’est pas entre 62 et 72 %

Au Sénégal, le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) a appelé les éditeurs audiovisuels « à prendre les mesures appropriées » pour arrêter la diffusion de messages publicitaires concernant des produits interdits, notamment ceux servant à la dépigmentation. Cette annonce est survenue quelques temps après que des médias locaux ont annoncé que le taux de dépigmentation, dans le pays, se situe entre 62 et 72 %.

Le 22 octobre 2019, le site d’informations Ndarinfo, citant le Professeur Fatimata Ly, la présidente de l’Association internationale d’information sur la dépigmentation artificielle (AIIDA), indiquait que « le taux de khessal (terme en Wolof désignant la dépigmentation), se situe entre 62 et 72 % au Sénégal ».

D’autres médias, dont Le SoleilXibar.netSen360.netTopnews.sn, ont publié la même information.

De plus, le texte du site Topnews.sn indique que « le Sénégal est deuxième au classement des pays africains dont les populations pratiquent la dépigmentation volontaire, selon une étude publiée l’année dernière ». Quant au quotidien national Le Soleil, il y est rapporté qu’« au Sénégal le taux de prévalence de la dépigmentation est estimé à 71 % selon une étude menée en 2019 sur le phénomène ».

Qu’en est-il exactement ?

Au Sénégal, « il n’y a pas d’enquête de prévalence nationale »

Africa Check a contacté Pr Fatimata Ly qui est dermatologue-vénérologue et professeur à la Faculté de Médecine Pharmacie et Odontologie de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD). Concernant les différentes statistiques qui lui ont été attribuées par plusieurs sites internet, elle précise qu’elles ont été mal rapportées ou interprétées.

À propos de sa communication concernant la dépigmentation, Fatimata Ly dit s’être basée sur des « enquêtes menées par les chercheurs de l’UCAD et de l’Université Assane Seck de Ziguinchor et (qui) ont fait l’objet de thèse de doctorat d’État en Médecine dont deux ont été soutenues et une autre en cours pour novembre (2019) ».

« La statistique 71.3 % concerne uniquement la localité de Pikine. (Au Sénégal), il n’y a pas d’enquête de prévalence nationale (sur la dépigmentation) », relève la spécialiste

Pr Ly a précisé que « les localités ciblées par les enquêtes sont les suivantes: Kaffrine (54 %) Parcelles Assainies (64 %), Pikine (71 %) et Guédiawaye ».

« La dernière enquête sur Guédiawaye est en cours », a-t-elle souligné.

Confirmation du ministère de la Santé

Africa Check a contacté la division de la lutte contre les maladies non transmissibles au ministère de la Santé et de l’Action sociale.

Le docteur Babacar Guèye, qui dirige cette division, a confirmé les propos du Professeur Fatimata Ly sur l’absence d’études nationales sur la dépigmentation, avant d’expliquer la raison pour laquelle les différentes statistiques censées concerner tout le Sénégal sont incorrectes.

« Quand on fait une étude à l’échelle d’un district, d’un département ou d’une commune, on ne peut pas, à partir de ce résultat, extrapoler pour tout le pays. Pour avoir le taux de dépigmentation à l’échelle nationale, il faut faire une enquête à l’échelle nationale », signale Dr Guèye.

Actuellement, « il n’y a pas à ma connaissance d’étude sur la dépigmentation qui couvre tout le Sénégal », a-t-il conclu.

Des données erronées

Africa Renewal, un magazine publié par les Nations Unies, mentionnait, en juillet 2019, des statistiques compilées dans une fiche d’informations de l’Organisation Mondiale de la Santé datée de 2011.

Les données « ont montré que 40 % des femmes africaines se sont éclaircies la peau. Le chiffre est plus élevé dans certains pays : 77 % des femmes au Nigéria, 59 % au Togo, 35 % en Afrique du Sud, 27 % au Sénégal et 25 % au Mali utilisent des produits éclaircissants ».

Or, en avril 2019, quand Africa Check vérifiait l’information selon laquelle « 77 % des femmes au Nigeria se dépigmentent », l’OMS nous indiquait que ces chiffres provenaient d’un « kit de sensibilisation au mercure » de 2008 du Programme des Nations Unies pour l’environnement (UNEP). Mais le document est maintenant absent du site Web de cette agence onusienne.

L’UNEP a tout de même partagé une copie du kit avec Africa Check. Mais à part les dangers du mercure dans certains produits, le kit ne dispose d’aucune information sur l’utilisation des produits éclaircissants en Afrique.

Pas de statistiques sur la dépigmentation pour le Sénégal

Nous avons également retrouvé une méta-analyse de la dépigmentation publié en 2019 par International Journal of Dermatology. Une méta-analyse est un condensé des recherches disponibles sur un sujet afin d’en tirer une conclusion statistique plus solide.

Soixante-huit études publiées entre 1972 et 2017 y ont été incluses : 40 d’entre elles portent sur l’Afrique, dont huit sur le Sénégal.

L’étude a révélé que la prévalence du blanchiment de la peau en Afrique était de 27,1 %. Mais elle ne mentionne pas un quelconque taux de prévalence pour le Sénégal.

Conclusion : pas de données sur le taux de prévalence nationale de la dépigmentation au Sénégal

Des médias sénégalais attribuent au Professeur Fatimata Ly la déclaration selon laquelle « le taux de prévalence de la dépigmentation au Sénégal se situe entre 62 et 71 % ».

Pr Ly explique que ses propos ont été mal interprétés, car les statistiques citées ne concernent que quelques localités du pays.

Elle souligne par ailleurs qu’il n’existe aucune étude nationale sur la dépigmentation au Sénégal; ce que confirme le ministère sénégalais de la Santé et de l’Action sociale.

Edité par Samba Dialimpa Badji (Africa Check)

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