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Me Pape Kanté, avocat au Barreau du Canada: “cela fait mal de voir le Sénégal épinglé sur le tableau des pays qui violent les droits fondamentaux”

Me Pape Kanté, qui a revisité, avecSourceA, l’actualité politico judiciaire de notre pays, n’a pas mis de gants. En effet, le Spécialiste du Droit, formé à l’Université de Strasbourg et au Canada, commentant l’affaire Khalifa Sall, le dossier Karim Wade et les décisions souvent rendues par le Conseil constitutionnel, estime que cela fait mal de voir le Sénégal épinglé sur le tableau des pays, qui violent les droits fondamentaux, alors qu’il faisait office de pays étalon en la matière”.

SourceA : L’Etat du Sénégal vient d’être débouté par le Tribunal correctionnel de Monaco de sa requête pour confiscation des sommes saisies dans les comptes monégasques, appartenant à Karim Wade et de ses co-prévenus. Ce, seulement quelques jours après la décision de la Cour de justice de la Cedeao Quelle lecture, cela vous inspire?

Me Papa Kanté : Cela montre qu’à chaque fois que les conditions d’un procès équitable sont réunies, c’est-à-dire la neutralité judiciaire, un débat contradictoire et une défense pleine et entière, l’État du Sénégal n’a pas pu convaincre le juge sur ses prétentions. Cela commence à faire beaucoup. Rappelons que cela a commencé avec l’avis du Comité des droits de l’homme à l’ONU, ensuite les différentes juridictions françaises qui ont été saisies, jusqu’à la récente déconvenue d’Abuja qui a un caractère plus retentissant tant au niveau institutionnel que juridique. La nouveauté dans l’affaire est que notre pays est pris avec une décision d’une Cour communautaire qui s’impose à lui.
Cette décision va au-delà de la personne de Khalifa Sall, puisqu’elle consacre le droit à une défense pleine et entière garantie par la Charte africaine et notre loi fondamentale. Cela veut dire qu’au moment où je vous parle, tous les détenus, qui ont été arrêtés dans les mêmes conditions que Khalifa Ababacar Sall sont fondés à se prévaloir de cette jurisprudence.
 
«Cela fait mal de voir le Sénégal épinglé sur le tableau des pays qui violent les droits fondamentaux, alors qu’il faisait office de pays étalon en la matière…»
 
Me Papa Kanté : Du point de vue de l’image de notre pays, n’oublions pas que le Sénégal a fait office de pionnier dans la construction des ensembles sous-régionaux intégrés, ainsi que l’intégration économique et politique. Le Sénégal s’est bâti une solide réputation de chantre d’un État de droit, nous avons fourni, partout, dans les Organisations juridiques internationales et les Cours, d’excellentes ressources humaines respectées pour leurs dimensions intellectuelles et professionnelles. Cela fait mal de voir le Sénégal épinglé sur le tableau des pays qui violent les droits fondamentaux alors qu’il faisait office de pays étalon en la matière.

SourceA : Le Conseil constitutionnel a statué sur la requête de l’opposition, en vue de faire annuler la loi sur le parrainage des candidatures aux différents rendez-vous électoraux. Q’en pensez-vous?

Me Papa Kanté : Il est, peut-être temps, que les Sénégalais s’interrogent sérieusement sur l’utilité du Conseil Constitutionnel. Voilà un Organe juridictionnel, qui est capable de «légiférer» à la place du Parlement, quand cela arrange le Gouvernement comme nous avons pu le constater, lors du référendum constitutionnel en 2016, mais qui abdique sa compétence de juger de la constitutionnalité d’une loi, lorsque cela n’arrange pas l’agenda du Gouvernement. Se déclarer incompétent pour juger une loi constitutionnelle du Parlement, alors qu’il peut, par ailleurs, censurer les lois de ce même Parlement, quand cela lui chante, n’est pas cohérent, juridiquement parlant, en tout respect. Il y a une seule souveraineté, elle appartient au peuple et il est vrai qu’aucun Tribunal ne peut se substituer à lui et décider ou censurer sa décision. Le peuple est souverain même dans l’erreur.

«Le Conseil constitutionnel est un Organe juridictionnel, qui est capable de «légiférer» à la place du Parlement, quand…»

Le Parlement, lui, exerce la souveraineté du peuple par délégation, alors il ne peut être infaillible, même lorsqu’il prétend voter une loi constitutionnelle. Je crois, par ailleurs, que l’utilité sociale de ce Conseil est très discutable, et que son travail pourrait valable être fait par la Cour suprême avec des pouvoirs élargis.

SourceA : Pour le cas Khalifa Sall, dont le procès en appel suit son cours, comment appréciez-vous la procédure qui a mené à son arrestation ?

Me Papa Kanté : Dans une situation normale, on ne devrait pas parler d’une cause pendante, mais puisque cette affaire a été mise sur la place publique par le Procureur de la République, le Ministère de la Justice, les personnalités étatiques de haut rang, qui ont glosé, pendant des mois, sur la culpabilité des prévenus et l’innocence de certains, je ne me sens, aucunement, lié par la règle de retenue judiciaire. Ainsi, il n’est pas besoin d’être devin pour savoir qu’à partir du moment où le maire de Dakar a posé des actes susceptibles de faire de lui un challenger du Président sortant (même s’il ne s’est jamais, personnellement, prononcé), il a commencé à éprouver les différents moyens de l’État pour le réduire.

«Il n’est pas besoin d’être devin pour savoir qu’à partir du moment où Khalifa Sall a posé des actes susceptibles de faire de lui un challenger du président sortant, il a commencé à éprouver les différents moyens de l’État pour le réduire…»

De la confiscation de compétences, la concurrence déloyale de ministres du Gouvernement dans son champ de compétences transférées, jusqu’à la descente, l’Inspection d’Etat dans les locaux de la Mairie de Dakar, nul ne peut, raisonnablement, ignorer une main politique. Son arrestation suite à la conférence de presse du Procureur de la République où on a assisté à un festival de violation du secret de l’instruction (très à charge), la négation des droits de la défense, présence de l’Avocat, non-admission de preuves, absence de contradiction et surtout l’instruction basée sur un rapport essentiel non déclassé, sans parler de l’arrestation et la longue détention qui, à aucune utilité à ce stade de l’enquête, ont fini de détruire la présomption d’innocence, dont lui et ses co prévenus devraient jouir.

SourceA : Suite à la décision de la Cour de justice de la Cedeao, quelle posture devraient adopter les Juridictions sénégalaises, en l’occurrence la Cour d’appel?

Me Papa Kanté : Déférer à la décision tout simplement. La Cour communautaire est une Institution, prévue par un Traité qui s’impose à toutes les autorités nationales, on a, malheureusement, essayé de la discréditer par une campagne agressive des partisans du Président de la République.

«Il faut déférer à la décision de la Cour de justice de la Cedeao, qui est une Institution prévue, un Traité qui s’impose à toutes les autorités nationales. On a, malheureusement, essayé de la discréditer par une campagne agressive des partisans du Président de la République, Macky Sall»

 Il est, absolument, inacceptable de voir des ministres ou proches du Président de la République miner sa crédibilité et sa neutralité, tout en violant, allégrement, la séparation des pouvoirs. Ce faisant, ils n’ont fait qu’étaler, au grand jour, le caractère très politique de ce dossier, en oubliant qu’à travers cette décision, tout citoyen de la communauté de la Cedeao peut s’en prévaloir devant un Tribunal interne ou une autorité. Je n’ai jamais vu des autorités étatiques sénégalaises saper l’autorité de la Cour d’Abuja, autant que ce Gouvernement. C’est un très mauvais signal, qu’on envoie aux citoyens, aux autres pays membres et, en dernière instance, un rude coup porté à l’intégration politique africaine.

SourceA :  Vous évoquiez, plus haut, que les détenus, dans la même situation, pouvaient se prévaloir de l’arrêt Khalifa Sall ?

Me Papa Kanté : Évidemment, c’est ce à quoi sert une décision de cette nature, sa portée dépasse les individus en cause. Normalement, les Avocats proactifs devraient, dans les prochaines semaines, pouvoir déposer des «requêtes Khalifa». Les juges sénégalais ayant tiré les conséquences de la décision toujours dans l’esprit du respect des droits de la défense et selon des lignes directrices claires accueillir ou rejeter ces dites requêtes. Imaginez le nombre de détenus en attente de procès, qui ont été arrêtés et détenus dans des conditions pires ou similaires, pourquoi devrait-on les priver de cette jurisprudence?

SourceA : N’y a-t-il pas de risque de laisser courir des criminels ?

Me Papa Kanté : On parle de détenus qui sont en attente de leur procès, depuis des années et qui doivent jouir de la présomption d’innocence. Aussi, ce qu’il faut comprendre, c’est que ce genre de décision commande une nouvelle efficacité du système judiciaire. Il y a, forcément, un changement de culture vers plus de respect au principe fondamental de la liberté. La détention ne doit pas être le principe dans la politique pénale, c’est le contraire.

SourceA : Comment le juge sénégalais procédera-t-il pour respecter la décision de la Cedeao ?

Me Papa Kanté : Je vous l’ai, déjà, dit, cela se fait par requête, à moins qu’elle n’exerce sa propre discrétion, pour réviser toutes les procédures et décider, c’est peu probable et trop de travail. En général, cela se fait par une requête des Avocats de la défense, qui vont demander soit l’arrêt des procédures ou l’acquittement, voire des indemnités, car oui, le déni de justice à un coût pour l’inculpé, les victimes, leurs familles et la population dans son ensemble. Nous avons besoin, comme société, que la justice nous protège contre les abus de l’Etat, dès que nous avons le sentiment qu’elle est manipulée par le Pouvoir exécutif et que les arguments de droit ne peuvent plus influer le cours du processus décisionnel. Nous perdons ce qui est fondamental dans le fonctionnement de l’Etat de droit : le lien de confiance du public en la justice.

                                                                                   Entretien réalisé par Aliou KANE (SourceA)

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