Le tribunal de Dakar a connu, hier une effervescence rare. Avant même l’ouverture de l’audience, la salle 4 débordait. Sur les bancs, dans les couloirs, même à l’étage, les chauffeurs de taxi urbain avaient répondu à l’appel. Ils étaient venus en masse défendre leur gagne-pain, dénoncer une concurrence qu’ils jugent sauvage, illégale, destructrice. Leur cible : les plateformes Vtc comme Yango, Yassir ou Heetch, accusées d’avoir bouleversé tout un secteur sans jamais en respecter les règles. À la barre, Modou Seck, le représentant du GIE des chauffeurs, n’a pas tremblé. D’une voix ferme, il a rappelé les obligations qui pèsent sur tout conducteur de taxi à Dakar : «Visite technique tous les six mois, assurance voyageurs, permis de transport en commun, livret de chauffeur professionnel… Nous, on respecte tout ça. Mais ces plateformes, elles laissent des particuliers rouler sans aucune autorisation. C’est de la concurrence déloyale, et ça dure depuis 2021», a-t-il martelé, sous les murmures d’approbation de ses collègues.
Dans la foulée, Me Aliou Sawaré et Me Ibrahima Mbengue, conseils du collectif, ont porté la charge contre ces plateformes étrangères, décrites comme des intruses dans un écosystème déjà fragile. « Elles sont arrivées en piétinant les règles. Elles imposent un modèle économique qui ne respecte ni les lois ni les acteurs existants», a lancé Me Sawaré. Puis Me Mbengue a pris le relais, le ton cinglant : « Ce sont des gens venus de nulle part qui veulent tout changer, sans se soucier de ceux qui vivent de ce métier depuis des années. » Ensemble, ils réclament 500 millions de francs CFA pour le préjudice subi par les chauffeurs de taxi, entre perte de clientèle, chute des revenus et sentiment d’injustice croissante.
Du côté des plateformes, le ton était plus feutré, presque défensif. Me Bocar Arfan Ndao, avocat de Heetch, a tenté de démonter l’accusation en pointant l’absence de preuve tangible : « Le GIE n’a pas subi de préjudice direct. Il n’y a aucun chiffre précis, aucun rapport comptable qui l’atteste. » Un argument qui a fait froncer plus d’un sourcil dans la salle. Puis vint Me Daouda Seck, avocat de Yango, dont l’intervention a tourné court. Qualifiant la procédure de “vexatoire”, il a été rappelé à l’ordre par le juge, visiblement agacé : ses clients, pourtant prévenus dans cette affaire, n’avaient même pas daigné se présenter à l’audience. Un silence remarqué, et un vide qui n’a fait que renforcer le sentiment d’impunité dénoncé par les chauffeurs.
Le substitut du procureur n’a pas cédé à la pression ambiante. Ni dans un camp, ni dans l’autre, il s’en est tenu à une ligne claire : le respect de la loi pour tous. « Il ne s’agit pas d’émotion, ni de nostalgie. Il s’agit de savoir si ces activités sont conformes à la réglementation. Si elles ne le sont pas, elles doivent cesser ou se mettre en règle », a-t-il dit sobrement. Le jugement a été mis en délibéré. Le verdict tombera le 23 juillet. En attendant, les taxis continueront de rouler, dans une ville où les Vtc se multiplient à vue d’œil.
Aïssatou TALL (Actusen.sn)