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Contribution

Serigne Bamba et Ndar, unies par le 5 septembre 1895

5 septembre 1895

Source: Oumar Bâ, “Ahmadou Bamba face aux autorités coloniales (1889 – 1927)
Ndar, la ville de Mame Coumba Bang, représente une longue histoire dans la vie du Mouridisme particulièrement celle du fondateur du Mouridisme Serigne Touba Mbacké Khadim Rassoul. C’est dans le palais du gouverneur à Saint-Louis que Cheikh Ahmadou Bamba Khadim Rassoul avait donné à La religion un Nouveau souffle. Bamba contre les ennemis de l’islam, c’était un combat de sacrifice que le fondateur du Mouridisme avait entamé seul, contre des hommes armés jusqu’aux dents à Ndar.
C’est entre 1850 et 1851 à Mbacké Baol qu’est venu au monde cet homme de Dieu, Serigne Touba Mbacké Khadim Rassoul, le grand missionnaire. C’est dans ce village situé à 40 km environ à l’est de Diourbel, où un enfant dénommé Ahmed ben Mohammed ben Abibou-Lahi ben Mohammed Al-Khayri ben Abibou-Lahi Al-Awal ben Mohammed Al-Kabir. Sa mère, elle s’appelait Diaratou Lâhi Mariama. Serigne Touba Mbacké a marqué son époque dans la vieille citée Ndar.
Le 5 septembre 1895 est une date historique pour la ville de Saint-Louis. Une histoire pour toute la huma islamique. Ce jour-là, le cheikh avait prié dans le palais du gouverneur devant les autorités coloniales. Les deux « rakaas » de Serigne Touba Mbacké Khadim Rassoul témoignent en effet, l’engagement, l’adoration et le courage de l’homme de Dieu vis-à-vis de son seigneur Allah. Ndar est ce lieu béni par le fondateur du Mouridisme. Entre l’océan et le e fleuve, Bamba a choisi ce milieu mythique pour livrer le message de la résistance. Depuis 36 ans, des milliers de personnes convergent vers la ville de Mame Coumba Bang. C’est dans cette ancienne capitale de l’AOF que le fondateur du Mouridisme avait prié les deux rakaas qui sont devenus aujourd’hui des prières éternelles pour la confrérie mouride qui la célèbre depuis 35 ans. Le 10 aout 1895, Cheikh Ahmadou Bamba qui venait de quitter Mbacké Baari rencontre à Djéwal le détachement de 120 soldats venus l’arrêter. Et, le 5 septembre 1895, Cheikh Ahmadou Bamba, interné à Saint Louis, est convoqué au palais du gouverneur. La réunion du conseil privé décide de l’exiler par PV N°1 délibération N° 16. Ce face-à-face avec les colonialistes était une marque de courage. Cet homme s’est donné corps et âme mais avec détermination et courage pour arriver à ce niveau d’où son nom unique dans le monde « Khadimou Rassoul ».
Saint-Louis ou Ndar, constitue une des étapes tenace et glorieuse de la vie de Khadimou Rassoul. Le fondateur du Mouridisme a offert à la religion musulmane et à la confrérie mouride une autre gloire. Certains disaient même que le sourire de Cheikh Ahmadou Bamba se faisait sentir à chaque fois qu’un Saint-Louisien lui rendait visite. Une marque de considération, mais également un amour réel entre Serigne Touba et la ville de Saint-Louis. Cette longue histoire lie la ville et le fondateur du Mouridisme. C’était pendant le procès illégal qui l’avait conduit sur le chemin de l’exil.
À Saint-Louis, malgré la lourde tâche qui s’abat sur lui et la pression coloniale, Bamba n’a jamais reculé. Dieu était toujours présent devant lui. Il disait toujours en ces termes : « j’ai subi dans cette île au cours de cette période des services que je n’évoquerai jamais par courtoisie à l’endroit du plus digne et reconnaissance (Allah), lui qui m’a dispensé de recourir aux armes contre l’assassin ». Sa plume était toujours un moyen de remercier son seigneur « j’étais seul dans une pièce, et il faisait très sombre. Mais Allah, le Très Haut m’a sauvé de toutes ces ténèbres par sa grandeur, et j’ai commencé à prier pour le Prophète (PSL). Après que je sois sorti de cette pièce, on m’a embarqué sur un petit bateau qui m’a conduit vers un grand navire. Allah (qu’il soit loué et exalté) m’a offert ce jour-là son appui et m’a donné une constante extraordinaire jusqu’à ce que je sois arrivé sur ce navire et j’ai su que la parole d’Allah est la plus sublime » disait le grand homme. « Ndar un jour, l’ombre de Serigne Touba Mbacké Khadim Rassoul et ses œuvres pour toujours

LES RELATIONS DE SERIGNE TOUBA A NDAR

Le Cheikh vint pour la première fois à Ndar -Saint-Louis du Sénégal- en 1887, selon nos sources. Celui qui l’intéressait, alors, c’était Maam As Kamara, un grand homme de Dieu qui rayonnait culturellement, intellectuellement et au plan ésotérique sur toute la zone englobant le Sénégal, la Mauritanie, la Guinée et le Soudan. Maam As était-il un Khutb ? En tout cas, comme un pôle de l’Islam, il attirait tous les musulmans et résolvait toutes les équations qui surgissaient. Ndar en était fier.
Nous ne savons et ne pouvons dire que Serigne Touba était venu lui prendre quelque chose comme le racontaient certains exégètes ou s’il était venu à lui pour une confrontation mystique. Mais Maam As le reçut d’une façon grandiose aux côtés de son éminent lieutenant de Guet-Ndar, Cheikh Malamine Seck qui était, comme son maître et ami un grand dignitaire khadre.
Nous savons que Serigne Touba se mesura mystiquement avec ses hôtes et réussit à les convaincre devant leurs propres disciples. Des légendes extraordinaires circulent encore qui démontrent que notre Cheikh était tellement loin de toute imagination humaine !
En venant à Ndar, Cheikh Ahmadou Bamba était accompagné de Cheikh Ibra. Ils étaient logés dans le quartier Sud où habitait Maam As En repartant, il laissera Cheikh Ibra à Ndar auprès de Maam As et Malamine en guise d’Ambassadeur pour raffermir leurs liens d’amitié. Maam As donnera à Cheikh Ibra un terrain à Guet-Ndar où le fidèle disciple habitera jusqu’aux environs de 1892-93. Il reviendra à NDar en 1895 et il y restera jusqu’en 1907.
Serigne Touba a eu des relations très intimes avec Serigne Madior Cissé, le grand érudit de Ndar qui lui affectera même un de ses enfants ou neveux devenu un grand mouride.

Il eut des relations avec Chérif Ahmet Khoureïchi, chez qui, on le fit loger lors de son arrestation en 1895
Avec Cheikh Amadou Ndiaye Mabèye, avec Serigne Ndiaye Sarr, Serigne Doudou Seck, les relations du Cheikh furent tout autres. Ceux-là s’étaient mobilisés pour le défendre contre les décisions colonialistes.
Amadou Ndiaye Mabèye était l’Iman Raatib de Ndar. C’est fort de ce titre, après une prière de vendredi, alors qu’on avait amené le Cheikh à Ndar, que l’Iman demanda aux notables de signer avec lui une pétition pour protester auprès du Gouverneur contre l’arrestation du Saint homme et pour qu’on le libérât. Cheikh Bamba lui rendit grâce pour cette action en le rassurant qu’il reviendra de son exil et qu’il le retrouvera sain et sauf à Ndar. Ce qui se réalisa.
Serigne Ndiaye Sarr était le Cadi de Ndar. Il avait protesté contre l’arrestation de Bamba et exigea même qu’on le mît à la disposition du Tribunal Musulman dont il était Président pour qu’il le jugeât selon les rites de l’Islam, ce que le Français refusa. Cette première contradiction fut sans doute une des causes de sa démission des charges de Cadi de Ndar. Il a eu une très grande considération et une très grande estime pour Cheikh Ahmadou Bamba.
Quant à Doudou Seck bouh El Mogdad, je ne puis tarir d’éloges pour lui. En effet, cet interprète du Gouverneur Général d’alors est à l’origine de la pétition de protestation des Ndar-Ndar car c’était lui qui avait sifflé à Amadou Ndiaye Mabèye le dessein des Colonialistes. Ensuite, comme interprète entre Cheikh Amadou Bamba, le Gouverneur et son Conseil privé, en musulman respectueux du Cheikh, il adoucit les termes violents du Gouverneur envers le Saint homme pour ne pas heurter son illustre personnalité et tous les mots que Bamba retournait au colon pour ne pas le pousser à la colère car Bamba n’a pas été tendre pour le Français.
C’est d’ailleurs pourquoi Serigne Touba qui l’appelait « entonnoir » lui dira après ce Conseil privé :
« Dieu a vu ton geste Doudou… Si ce n’était que pour m’honorer et par solidarité islamique, je te pardonne d’avoir déformé mes mots et si c’était par respect que tu atténuais ceux du Gouverneur, Dieu t’a agréé à son Paradis car je comprenais tout ce qu’il disait… »
D’ailleurs, il continuera ses relations avec Doudou Seck, relations qui se transformèrent en une grande amitié. Ainsi, il reviendra en 1919 à Ndar à l’insu de la plupart des gens, pour loger chez Doudou Seck. Ils échangèrent beaucoup de cadeaux et de correspondances. C’est aussi pour cela que, lors de sa rencontre avec le Gouverneur Général, à Dakar en 1920, on fit venir l’interprète Doudou Seck pour relayer la conversation qui fut hélas très brève.
Mais les relations de Cheikh Ahmadou Bamba ne s’arrêtèrent pas là. Avec Sokhna Diarra Sèye, qui habitait le Sor, à l’extrémité de la Boutique « Fouta Toro », près du marché, ces relations furent fermes et attendrissantes (elle portait le même nom que sa mère). C’est cette femme qui lui préparait à manger et lavait son linge lors de ses séjours à Ndar.
Thierno Ousmane SY, père de Mourchid Yane SY, d’El-Hadj Malick SY, Moustapha SY et Babacar SY, eut de très belles relations avec notre héros.
Quand les Toubabs l’amenèrent à Ndar, il tint à lui manifester sa solidarité. Alors il ira au Fouta (à Souyna près de Podor) pour solliciter auprès de son oncle qui était un érudit connu dans toute la région des prières pour Serigne Touba.
C’est son oncle qui lui révéla la dimension du Saint homme et qui lui intima l’ordre de retourner sur le champ et de s’occuper de lui. Thierno Ousmane revint aussitôt et mobilisa sa famille qui, tous les jours, préparait des mets de qualité et en quantité destinés à Cheikh Amadou Bamba. Leurs relations se déteindront sur leur descendance car tout le monde connaissait les liens amicaux de Serigne Falilou et Serigne El-Hadji Malick SY de Thierno Ousmane et Serigne Yane dédia à Khadim un poème retentissant.
En poursuivant nos sources, elles vont nous révéler deux grandes figures du Mouridisme à Ndar, deux illustres notables du quartier Bas-Ndar Toute, Serigne Samba Diarra Mbaye le poète-chantre de Serigne Touba et Serigne Yatma Mbaye.
Cheikh Samba Diarra Mbaye révéla partout le charisme de notre Cheikh. Il le chanta à Ndar, le trouvera à Guet-El-Ma et à Xoomak pour le sublimer. Il embauma son coeur par des poèmes en ouolof qui firent frémir tout l’entourage et enthousiasma même le Cheikh, avec des expressions d’une originalité et d’une logique convaincantes :
« Bu leen ma yeem, yeem leen ko moom
Du man di wax mooy kiddi wax
vaxande laa vu ¨nu tajji wax
buñu ma ubee may lamiñam… »
ou Ku fekke Jamonoy Ngir te sooy
Doo def ludul xoole ni looy
« Que je ne vous étonne guère car c’est lui le mystère
Ce n’est point moi qui parle c’est lui qui s’exprime
Je suis une boîte renfermant des sermons
Quand on m’ouvre je me mets à les dire… »
ou Celui qui se rend bredouille à une époque de grâce
Demain aussi n’aura qu’à regarder comme un « looy » (1)
(1) Looy : l’animal le plus paresseux de la terre.
L’autre relation est Serigne Yatma Mbaye. Celui-ci est un témoin important dans l’histoire du Cheikh car il faisait partie du contingent de soldats que Serigne Touba, grâce à Blaise Diagne et malgré Van Vollenhoven ce Gouverneur Général de gauche qui ne voulut jamais que les Africains fussent enrôlés dans une guerre qui ne les regardait que peu, envoya au front en mai 1916 pour défendre la France.
Yatma vit un jour venir à lui, dans les tranchées du front de la Marne ou de Verdum (je ne retiens plus) Serigne Touba en personne drapé dans un grand boubou « Tiawal » et qui lui dit :
« – Yatma vous êtes là ?
Ne crains rien ! Dis chaque matin ceci et cela et tu viendras bientôt me rejoindre à Njareem sans égratignure. »
Puis il disparut. Ce n’était ni en songe ni en rêve ni en hallucination car il lui donna un morceau de son boubou qu’il gardera avec lui.
Et quand la guerre finit, dès sa descente du bateau à Dakar, il se dirigea à Njaareem d’abord pour rendre visite au Cheikh. Dès que celui-ci l’aperçut dans la foule de talibés en ziarra, il lui sourit et lui fit signe de s’approcher.
<< Vous êtes venu Yatma ! Qui a gagné dans votre guerre ?
– Je suis venu Mbacké et vous exprime toute ma reconnaissance car c’est grâce à vous. Le jour où vous êtes venu à moi, nous avons subi une attaque foudroyante des Allemands. De notre section où il y avait 29 soldats, 2 adjudants, 3 sergents et 1 lieutenant, il ne restait que moi.
« Dierejefati Serigne-Bi ». Mais nous avons gagné la guerre. Nous avons chassé les Allemands des frontières françaises…
– Crois-tu Yatma qu’ils ne reviendront pas ? Soyez toujours sur pieds ! “
A bien réfléchir les Allemands reviendra en France en 1939 comme Serigne Touba l’avait laissé deviner.
Ce Yatma restera très attaché au Cheikh qui finira par lui dicter l’essence même de la « Sallatou alla Nabi » qu’il crachait sur des fils qu’il nouait. Ces fils noués de Serigne Yatma Mbaye guérissaient les maux, satisfaisaient les besoins et protégeaient tous ceux qui venaient à lui.
Enfin nos sources nous ont fait découvrir des relations très cachées de Serigne Touba, à Leybar-Boye. D’abord une femme qui s’appelait Sokhna Yacine Sarr, qui l’a accueilli à Leybar .Elle fit connaissance avec Cheikhoul Khadim quand celui-ci, de retour de son exil de Mauritainie et alors qu’il était en partance pour Thiyeen, après un séjour de deux semaines à Ndar, se déroba des foules qui l’assaillaient dans la grande ville et vint à pieds jusqu’à Leybar à 7 km de la ville pour prendre le train car la gare de Ndar avait été envahie dès la nuit tombée la vieille du départ par une meute considérable de talibés. A l’aube, il quitta doucement la ville pour venir à Leybar où il effectuera la prière du matin.
C’est là aussi où il rencontrera Serigne Djibril Guèye qui, m’a-t-on dit, le prendra dans ses bras, pour le soustraire de la foule venue le rejoindre jusqu’à Leybar, l’aidera à monter dans le train. D’autres disent qu’il montera avec lui pour l’accompagner jusqu’à Thyeen près de Dahra.
En tout cas, tous ceux qui vivent à Leybar-Boye sont automatiquement mourides. Je ne sais pas les raisons de cette uniformité mais la rencontre de Sokhna Yacine Sarr, de Serigne Djibril Guèye et de Serigne Touba en est pour quelques choses : « Lumu Saf kiko Macca Ka Xam… » dit les ouolofs.
Je n’ai pas épuisé les relations d’Ahmadou Khadim à Ndar. D’autres recherches et d’autres découvertes sont encore nécessaires pour les cerner.
Il faut tout simplement retenir que Khadimal Moustapha aimait beaucoup notre ville naguère appelée Dar-Es- Salam par Abdallah El Fasi et Abdallahi Ibn Yacine dès le XIe siècle, bien avant l’arrivée des français qui l’appelleront Saint-Louis.
Au XIIe siècle déjà Ndar était un grand centre islamique où s’étaient installés des Marocains et des Almoravides sans doute émerveillés par le charme du site ou la douceur du climat mais aussi pourquoi pas, par une griffe divine que Dieu y avait auréolée.
Les raisons de Serigne Touba ne peuvent être connues d’un individu aussi humble que moi, mais il a dit à ceux qui l’auraient approché à Ndar : » qu’il y avait au-dessus de cette ville, à l’époque des colonialistes, l’une des portes du Paradis que Iblis, le démon voudrait souiller. C’était la raison de ses multiples passages et ses nombreux séjours à Ndar. »

Amadou Yoro DIOP

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