Artiste accomplie, doublée d’intellectuelle à la réflexion saine et sans passion, Coumba Gawlo Seck est une femme sincère qui a le courage de ses idées. Une société sans hypocrite est impensable, mais un monde entièrement composé d’hypocrites n’est pas non plus viable. Heureusement qu’il y a des personnes suffisamment courageuses et éclairées pour dire ce qu’elles pensent être la vérité. Dans le monde de la musique sénégalaise, il y a des dogmes et des tabous qui freinent son essor sur le plan international. Dans le monde de la musique sénégalaise, la politique est la souillure qui entache la pureté du génie et plombe les initiatives purement artistiques.
Dans le monde de la musique sénégalaise, des lobbies en collusion avec la politique défont des carrières et enfantent des œuvres sans véritable génie. La crise actuelle de la musique est, en partie, due à un détournement d’objectif, à une déviance artistique : la musique nourrit des ambitions politiques et est devenue un instrument d’abrutissement des fans. La musique est train d’être travestie et dévoyée de sa vocation originelle qui est d’être un rempart contre l’absurdité de l’existence.
« La vie sans la musique serait une erreur » selon Nietzsche. Cette formule provocatrice et, certes pleine d’ironie nihiliste, exprime bien pourtant l’ampleur de l’impact de la musique sur le sens et, surtout, la saveur de notre existence. La mort est, en effet, considérée comme le phénomène le plus cruel de l’existence ; mais sa cruauté est moins tragique que la vie elle-même et ce, non pas parce que celle-ci s’achemine inexorablement vers la mort, mais parce que cette vie est de bout en bout faite d’incertitude, de craintes, de désespoirs, d’échecs, de contraintes, de misère, de mélancolie, de lutte atroce pour la survie, de succès et de joies éphémères, etc. Ce tableau n’exprime guère un élan de pessimisme, il reflète juste la dure réalité de la vie que nous ne pouvons occulter que sous le mode de l’illusion.
Justement, l’art est le plus excellent des remèdes contre cette fatale férocité de l’existence : il nous sauve du désespoir et nous guérit de la maladie de la résignation. Et puisque la musique est la forme d’art la plus populaire et la moins onéreuse (puisqu’on peut se servir de son propre corps pour créer des mélodies), on comprend dès lors toute la sagesse qui se cache derrière cette formule de Nietzsche. La musique, dans son expression la plus rudimentaire, est un acte de sursaut face à la fugacité de l’existence et ce, dans la mesure où elle nous emporte hors des limites du réel toujours trop étroit pour nous plonger dans l’infinie richesse que nous offre l’imagination. La musique nous offre une espèce de satisfaction difficilement descriptible parce que simplement introuvable dans les autres couloirs de l’existence humaine : les mystiques qui connaissent bien la métaphysique de la matière en général et du son et particulier savent bien que ce n’est pas seulement le corps que la musique fait vibrer.
Les sons mélodieux de la vraie bonne musique atteignent les dimensions les plus subtiles de notre âme et constituent en dernière instance le langage le plus élaboré, le plus touchant et le plus véridique qui soit ! Aussi n’y-t-il pas d’âme insensible à la mélodie, car certains frissons qui nous parcourent le corps ainsi que certains états de plénitude intérieure sont en réalité de vraies mélodies. C’est d’ailleurs ce qui nous fait penser que nous ne devons pas seulement de l’admiration aux musiciens ; nous leur devons surtout de la révérence dans le sens le plus élevé de ce terme.
On se représente souvent l’apport de l’artiste en termes d’agrément pour la vie : c’est assurément trop étroit comme conception du travail de l’artiste. Dans un monde où il n’y a pas de prophète ou dans lequel la voix de ces derniers n’est plus discernable, le dernier rempart contre la perdition humaine et contre la barbarie est sans doute l’art. La force mystérieuse avec laquelle l’artiste focalise l’attention et fascine son public constitue un véhicule performant de valeurs et de représentations pour parfaire la nature trop « courbe » de l’homme.
C’est qu’il y a des âmes qui sont incapables de décevoir et cela est déjà perceptible dans leur apparence physique. Nous ne pouvons nous permettre de rabâcher le prosaïsme du genre « Coumba Gawlo est belle », nous préférons parler plutôt de grâce, car celle-ci est plus élevée que la simple beauté physique (bien que celle-ci soit importante et, par bonheur, suffisamment disponible chez Coumba). Ce que nous appelons grâce ici est plus subtile que le charme et l’attirance physique, c’est pour parler comme Bergson, « l’immatérialité qui entre dans la matière ». Coumba est pleine de grâce dans son regard, dans son expression, dans ses réflexions, dans sa démarche et dans ses moindres mouvements. Sur scène et sur les plateaux de télévisions, Coumba étale toute sa grâce et subjugue ceux qui ont la chance de percevoir sa magnifique silhouette ou sa voix sublime.
En plus d’être pétrie de génie, Coumba Gawlo est engagée, de façon sincère et de désintéressée aux côtés des faibles et des dominés. Elle est la lionne de la lutte contre l’injustice et l’imposture. Dans ce Sénégal de l’imposture généralisée, il est difficile et risqué de dire la vérité ; il est même quasiment impossible de faire une réflexion objective. Nous sommes tous engagés, c’est vrai, mais la constance dans l’engagement aux côtés du peuple est ce qui fait défaut au pays des intéressés. Il y en a qui ne sont engagés dans les luttes populaires qu’au gré de leurs intérêts ; ils y en a qui ont l’outrecuidance et la forfaiture de faire du destin de tout un peuple l’appendice de leur destin personnel.
Nous ne laisserons jamais les araignées venimeuses piéger Gawlo dans la grande « toile du complot » pour la « tuer ». Pharaon narguait les siens et se prenait pour le plus grand dieu, l’histoire a fini par montrer qu’il était un des plus petits hommes sur cette terre. Son arrogance lui faisait croire que parmi les peuples d’Egypte il y en avait qui n’étaient pas dignes de voir son visage ! Pharaon ignorait que quand on est vraiment grand on n’a besoin d’écraser les petits. Il ne savait pas que c’est en respectant la différence qu’on dépasse la médiocrité d’une existence cloitrée dans les murs de l’intrigue, du chauvinisme, du mépris de l’autre et de l’avidité.
Alassane K. KITANE, professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès