Contribution

Lettre au Moro Naba, récipiendaire du prix Macky Sall pour la paix

Excellence, veuillez excuser notre style qui n’est que maladresse et notre effronterie qui n’est que faiblesse, mais une faiblesse qui chercher à s’abreuver à la source féconde qu’est votre sagesse afin de vaincre sa faiblesse et sa maladresse.

En vous, nos frères Burkinabè ont toujours placé un immense respect pour le rôle de régulateur social que vous avez toujours assumé avec indépendance et clairvoyance. Vous avez toujours réussi à mouler votre pouvoir charismatique traditionnel dans les exigences de la démocratie et de la modernité de votre peuple dont les luttes ont inspiré beaucoup de jeunes africains. Nous n’avons aucun doute que la reconnaissance éternelle et l’admiration dont vous jouissez auprès de vos concitoyens sont, pour vous, infiniment plus précieux que n’importe qu’elle distinction. Mais excellence, Moro Naba, savez-vous comment le parrain du prix dont vous êtes le récipiendaire gère son pays ? Savez-vous qu’il est plus commode à une souris de s’épanouir dans une galerie gérée par des chats qu’à l’opposition sénégalaise de manifester ou d’organiser des rassemblements ?

Excellence, Moro Naba, saviez-vous que l’homme qui est le parrain du prix qui vous est décerné est le Président d’un pays où le maire de la capitale (que le peuple souverain a élu député) est empêché de siéger à l’assemblée nationale par les seuls caprices d’une détention provisoire que rien ne justifie ? Saviez-vous excellence, que dans les mêmes conditions un citoyen (qui, plus est, est mis en cause dans une affaire de crime de sang) avait été investi sur les listes électorales par la coalition alliée du Président Sall et, par la suite, a été élu député avant que la justice ne tranche sur son cas ? Saviez-vous que ce Président en exercice (donc encore capable de dérives) a emprisonné un opposant sur la base d’une cour de justice unique au monde et qui s’en est débarrassé en l’exilant loin de son pays dans des conditions que nul ne connaît ?

Excellence Moro Naba, sous Macky Sall on a emprisonné plus d’opposants que sous ces deux prédécesseurs. Savez-vous que sous Macky Sall, un opposant interdit de sortie du territoire sur des bases arbitraires, a été invité par le Président, dans son avion de fonction, à voyager en sa compagnie hors du pays au moment où les autres opposants frappés de la même interdiction sont cloués au pays ? Pensez-vous réellement qu’un tel homme mérite d’être le parrain d’un prix pour la paix ? Ne craignez-vous pas qu’en associant votre leadership incontesté, vous soyez en train de donner un blanc seing à un homme dont la gestion du pouvoir est plus que jamais entaché de reniements et d’agression du droit ?

C’est vrai que pour l’Afrique et les Africains n’importe qu’elle officine peut faire dans le lobbying et se donner une mission de paix, mais nous sommes en droit d’espérer de la part de références comme vous une lucidité qui permette de déjouer les pièges de ces lugubres machins dont l’utilité pour les Africains est plus que douteuse. Excellence Moro Naba, méditez l’acte symbolique d’un Sartre refusant le prix Nobel pour ne pas que son œuvre et son nom se réduisent désormais au Nobel. Nous estimons que c’est à Macky Sall, et non l’inverse, de s’inspirer de votre rôle de régulateur et d’homme de dialogue, de votre œuvre pacificatrice de la société burkinabé.

Nous aurions été heureux de voir Macky Sall recevoir le prix Nobel de la paix, mais au regard de son action politique actuelle, il ne mérite aucun prix ; encore moins d’être le parrain d’un prix pour la paix. J’espère seulement que ceux qui ont été frustrés par sa médiation scandaleuse chez vous ne seront pas révoltés comme moi de vous voir glaner ce prix. Quant aux initiateurs de ce prix j’aimerai seulement leur dire que notre pays ne manque pas de références pour être les parrains d’un prix pour la paix en Afrique : Cheikh Anta Diop, Kéba Mbaye, etc. Vous n’avez pas le droit de nous imposer Macky Sall comme modèle d’un homme de paix et si c’était pour amoindrir ses élans guerriers, sachez qu’il se définit lui-même comme un lion qui dort.

Un Président qui est chef de faction et qui n’hésite pas à battre campagne pour les législatives en faveur de sa faction en sacrifiant le symbole de l’unité nationale qu’il incarne, mérite-t-il d’être le parrain d’un prix pour la paix ? Un Président qui félicite son ministre de l’intérieur qui a organisé les élections les plus scandaleuses de l’histoire de son pays, fermant les yeux, par ce biais, sur les protestations légitimes de l’opposition est-il un homme de paix ?

Excellence, Moro Naba, vous êtes libre de recevoir ce prix, mais nous sommes en droit de penser qu’il sera une pesanteur demain si, votre excellence était sollicitée pour une mission de paix au lendemain de troubles électoraux au Sénégal. Et un tel scenario n’est pas souhaité, mais il n’est pas exclu au regard du comportement de la faction qui soutient le parrain du prix dont vous êtes récipiendaire !

Excellence Moro Naba saviez-vous que notre frère Kémi Séba et beaucoup d’autres frères africains ont été expulsés du Sénégal sur des bases que la société civile elle-même qualifie de scandaleusement fallacieuses ? Les actes sont des signes, ils ont un sens et comme tous les mots, c’est dans le contexte, la structure ou la situation qu’ils acquièrent la plénitude de leur signification. Ce prix, le nom du parrain, le choix de votre personne après la deuxième révolution burkinabé et la choquante médiation de la CEDEAO : rien dans tout cela n’est gratuit.

L’histoire réelle est en train d’être effacée par l’histoire fictive, celle écrite par un des protagonistes. Ainsi votre nom est désormais un moyen de sublimation d’un prix et d’un homme dont l’œuvre qui n’a même pas encore commencé ne saurait logiquement être couronnée par quelconque distinction. Il faut cesser d’écrire une histoire qui n’est pas encore achevée, car c’est une façon d’impulser à celle-ci une trajectoire artificielle, parce que calculée et orientée.

L’oligarchie mondiale cautionne toutes les manœuvres contribuant aujourd’hui à asseoir en Afrique un leadership conforme à ses intérêts : c’est dans ce sens que les officines les plus occultes sont financées pour légitimer des pouvoirs inféodés à leurs intérêts. Cette oligarchie mondiale fausse le jeu et les principes de la démocratie en Afrique, car le nouveau paradigme de la géopolitique veut que le leadership des pays du sud soit légitimé ou délégitimé en Occident. Nos ardeurs démocratiques ne sont désormais que les outils dont se sert cette oligarchie pour tirer les ficelles : tous ces Présidents africains chouchoutés par l’Élysée sont installés directement ou indirectement par les lobbies de cette oligarchie. Excellence Moro Naba, nous osons espérer que notre missive vous parviendra d’une manière ou d’une autre et que vous comprendrez nos préoccupations, même si notre procédé semble maladroit.

Alassane K. KITANE

Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès

SG du Mouvement citoyen LABEL-Sénégal

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