Contribution

Retour sur une chronique qui fera date ou une diplomatie à rebondissements. Qu’est-ce qui se passe entre Dakar et les capitales des pays limitrophes ?

Dans sa succulente chronique hebdomadaire incontournable du Grand Journal de midi du mercredi 30 août 2017 sur la RFM, Mbaye Sidy Mbaye revient sur le chauvinisme  affiché des férus de basket maliens notamment lors de la finale de l’Afrobasket féminin du 27 août à Bamako.

Prétexte pour l’éminent journaliste-formateur de pousser son coup de gueule par le biais d’un éclairage objectif sur nos relations avec le Mali en se demandant ce qui se passe entre Dakar et Bamako.

Nous voudrions saisir cette occasion pour rebondir sur le sujet et par extension nos rapports avec les autres pays frontaliers de la sous-région.

Nous avons savouré la chronique en prime-time. Nous l’avons écoutée et réécoutée en streaming.

Quatre minutes et sept secondes plus tard, voici la réflexion qu’elle nous inspire.

Cet incident n’est pas isolé et nouveau. Sorti de son contexte sportif d’amateurs frustrés et privés de la finale de leur…coupe, il dénote une méfiance outre-fleuve Sénégal. Pire, il est symptomatique du sentiment ambiant anti-sénégalais dans l’air du temps.

Suivez notre regard : mise en place du G5 du Sahel formé le 16 février avec son bras armé Barkhane en août 2014, péripéties du retour du royaume chérifien du Maroc à l’UA le 17 juillet 2016, crise post-électorale gambienne en décembre 2016-janvier 2017, élection du Président de la Commission de l’Union africaine en janvier 2017, première visite du président français en Afrique subsaharienne le 19 mai 2017, etc. Excusez du peu !

Dans tous ces dossiers chauds, le constat in fine est le même : le Sénégal n’a pas accordé ses violons avec ses voisins ou vice versa.

Quid du baromètre des relations sénégalo-maliennes du prisme de Dakar ?

Comment nos compatriotes jaugent-ils les rapports avec nos voisins immédiats ?

C’est un secret de polichinelle de dire que la température des relations diplomatiques du Sénégal avec les pays frontaliers à l’exception notable de la Gambie (depuis l’alternance en janvier 2017) n’est pas au beau fixe. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces relations ont été plus chaleureuses par le passé.

Notre pays qui abrite deux des plus fortes colonies d’immigrés de la sous-région sur son sol, gagnerait à être plus prévenant, solidaire et proche de ces pays où l’on trouve aussi d’importantes communautés sénégalaises.

Les migrations (Immigrations et émigrations) de populations ont été historiquement plus importantes au sein de la sous-région. En une sorte de système des vases communicants. Par vagues successives dans le temps et dans l’espace, ces mouvements se sont étendus ensuite ailleurs en Afrique (occidentale, centrale, australe et septentrionale) et  enfin dans le reste du monde.

Mbaye Sidy Mbaye, un des dinosaures de la presse sénégalaise, indique que le traumatisme de la Fédération du Mali est toujours là. Vivace. Un pan entier du passé douloureux entre le Sénégal et l’ancien Soudan français.

Il convoque un demi-siècle d’histoire avec l’éclatement de la Fédération du Mali en …août-septembre 1960. Décidément, c’est à croire qu’août ne nous réussit pas !

Le chroniqueur, très en colère contre nos dirigeants, invite les deux chefs d’Etat à faire preuve de dépassement.

Les pères de l’indépendance ont cassé par erreur la Fédération bancale de naissance. Il nous faut assumer cet héritage au passif lourd sur les plans institutionnel et étatique certes mais aussi profiter de l’actif pas inintéressant de cette communauté des peuples.

Dans le monde, il est rare de trouver deux Etats qui ont la même bannière. Rarissime de voir la même devise. Mais partager à la fois le même drapeau pratiquement et la même devise, le fait est unique!

Tout lie le Mali et le Sénégal. Notre histoire commune est millénaire : du royaume du Tékrour  au VIIIe siècle, en passant par l’empire mandingue à partir du XIIIe siècle, la résistance à la conquête coloniale, la colonisation sous le joug de l’AOF, la décolonisation enfin à l’indépendance en 1960. Plus que l’histoire, la géographie, le peuplement, la culture, etc., sont enchevêtrés. Le Dakar-Niger et ses corollaires en sont des parfaites démonstrations.

L’assertion de Bismarck en est plus que saisissante : « Un pays fait son histoire, mais subit sa géographie ».

Pourquoi donc les amoureux de la balle au panier maliens houspillaient le Cinq sénégalais ? Peut-être par atavisme répond le panafricain choqué dans ses convictions.

Ces vers tirés de la Fable de La Fontaine intitulé Le Loup et l’Agneau résument bien la situation :

« (…) Et je sais que de moi tu médis l’an passé.

Comment l’aurais fait si je n’étais pas né ?

Reprit l’Agneau ; je tète encore ma mère

Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.

Je n’en ai point. C’est donc quelqu’un des tiens :

Car vous ne m’épargnez guère,

Vous, vos Bergers et vos Chiens.

On me l’a dit : il faut que je me venge. (…)»

Les lazzi à l’encontre des Sénégalaises qui ont fusé dans le magnifique stadium de Bamako à faire pâlir d’envie les habitués de Marius Ndiaye sont regrettables. La vengeance aveugle par des vannes d’une rancœur plus vieille que la plupart des supporteurs.

Cependant ne confirment-ils pas la thèse d’une antipathie sans cesse grandissante, fille des avatars d’un fédéralisme mort-né et d’une décolonisation balkanisée ? A qui la faute ?

Dans ce jeu de rôles ou bal masqué, nous nous garderons de dire qui est le méchant ou le gentil. Ce n’est pas aussi simple. Les salons feutrés et compassés des ambassades ont pour revers les champs d’intrigues impitoyables du renseignement.

Sommes-nous victimes de nos errements diplomatiques ?  Payons-nous le prix de la montée en puissance  d’autres capitales ? Que se passe-t-il entre Dakar et Bamako ? et les autres capitales de la sous-région ?

De notre côté, faisons-nous suffisamment l’effort d’affermir nos relations avec ce pays frère et par ricochet avec tous nos voisins ? Rien n’est moins sûr.

La réaction des supporteurs du stadium Salamatou Maïga -une icône du Basket malien- parait excessive mais est compréhensible à bien des égards.

Ramata Daou, la Malienne d’origine naturalisée sénégalaise  n’est pas la seule pomme de discorde en raison de l’épisode de sa convoitise par les deux fédérations de basket tranchée en faveur des lionnes par la Fiba en juillet 2015.

Les Maliens peuvent garder la dent contre le Sénégal. Chacun de nos voisins a ses raisons de nous en vouloir. Sans les dédouaner, nous voudrions ici nous focaliser sur les griefs contre nous portés.

En effet, un faisceau de reproches nous est imputés.

D’abord, suite à l’insurrection déclenchée le 17 janvier 2012 au nord du Mali et qui progressait vers le sud-ouest ; tour à tour, différentes opérations (Serval, Misma, Fatim, Munisma) ont été lancées pour arrêter la progression des insurgés qui contrôlaient le nord du Mali, et soutenir les troupes maliennes face à la menace d’une offensive vers Bamako.

Le Sénégal a louvoyé avant de réagir assez tardivement en envoyant des éléments au sol en janvier 2013 (un bataillon de 500 Jambaars) dans le cadre de la mission d’appui internationale dirigée par les Africains au Mali (AFISMA) organisée par la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

Notre pays si prompt à déployer des troupes au service des nations unies dans différents théâtres d’opérations pour diverses missions a joué la montre. Quand les Touaregs prenaient Tombouctou à 1200 km à vol d’oiseau du camp Mamadou Lamine Dramé -résistant à la pénétration coloniale française- qui polarise la zone militaire n° 4 la plus proche.

Bien auparavant, depuis ce qu’il est convenu d’appeler les évènements sénégalo-mauritaniens d’avril 1988 ; sur les rives droite et gauche du fleuve Sénégal, la confiance ne règne plus. En attestent les jolies misères récurrentes infligées aux pêcheurs sénégalais de la Grande Côte dans les eaux mauritaniennes.

Puis, en décembre 2013, face à l’épidémie de la fièvre d’Ebola qui a sévi en Afrique de l’Ouest en commençant par le sud-est de la Guinée Conakry, le pays de la Téranga s’est …barricadé.

Enfin, durant la récente crise gambienne en début d’année, le Sénégal s’est singularisé dans la voie de la confrontation.

L’adage bien sénégalais constate « Ku ñëpp tufli, nga toy ». Avons-nous tort ou raison. Mystère et boule de gomme.

Ce qui est sûr et certain, le Sénégal et ses voisins n’ont pas besoin de ressasser les combats Sékou Touré-Senghor, Senghor-Modibo Keïta et tutti quanti.

Notre pays n’a rien à gagner à perpétuer des querelles byzantines, idéologiques ou crypto-personnelles cristallisées par de forts égos.

Mbaye Sidy Mbaye rappelle toujours dans la même chronique que le jour de la finale, Ibrahim Boubacar Keïta était à Dakar. Par devoir de mémoire, il a effectué deux déplacements coup sur coup à l’occasion des funérailles de Babacar Ndiaye, ancien président de la BAD en juillet dernier et Aliou Sow, fondateur d’un des fleurons des BTP au Sénégal pour dire le moins ce dimanche 27 août (paix à leurs âmes).

Ainsi, il fait preuve de reconnaissance, de compassion et de solidarité à l’occasion des deuils d’éminents panafricains. En dehors de ses liens personnels avec les deux disparus, le président malien, a fait ses humanités à l’Université de Dakar.

N’est-ce pas un gage de bonne volonté ?

Pas plus que Ibrahim Boubacar Keïta, jeune élève au moment de la crise de 1960, le président sénégalais né post-indépendance n’est comptable des agissements de l’éphémère triumvirat Senghor-Modibo-Dia.

Heureusement, poursuit un Mbaye Sidy Mbaye irrité, si nos élites daignaient tourner la page de nos différends et autres rancunes tenaces, les peuples suivraient.

Leaders d’aujourd’hui, ne vous mêlez pas de la petite histoire des élites d’hier ; mais cultivez plutôt la grande histoire des peuples pour le bénéfice des générations futures.

Au total, nous croyons que notre diplomatie devrait prendre la pleine mesure de la gravité de la situation. Nous croyons que l’effort de notre diplomatie devrait porter sur les capitales des pays qui nous ceinturent géographiquement : Mauritanie, Mali, Guinée Conakry, Guinée Bissau et Gambie. Par stratégie géopolitique (alimentation en eau, stabilité institutionnelle, sécurité intérieure, influence, leadership, etc.), raisons économiques (pétrole et gaz, échanges commerciaux, intégration, etc.), par prospective (adhésion annoncée du Maroc à la CEDEAO, etc.)…

Senghor lui-même ne professait-il pas doctement la diplomatie circulaire ou théorie des cercles concentriques ? Une diplomatie fondée sur la culture de la paix, de l’égalité, de l’échange enrichissant et du respect mutuel prônée par le pays du …dialogue.

Au vu de ce qui précède, l’intérêt national réside au bon voisinage, à la fraternité. L’intelligence aussi.

Tant il est vrai que la diplomatie est toujours cet art de ménager l’amour-propre et le prestige des gouvernements étrangers en déguisant les réalités déplaisantes sous des formes amicales.

Pour l’heure, le Sénégal qui se renforce ailleurs s’isole ici ou est isolé là ; et perd des places sur l’échiquier diplomatique ouest-africain voire continental. Comme si la perspective d’une exclusion se dessinait à l’horizon dans un dessein d’encerclement.

Cette chronique de deux-cent-quarante-sept secondes fera date.

Septembre 2017

NDIAYE Bouna Sémou

Instituteur à Dahra

paakuur@gmail.com

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